Barack Obama est-il un mou en politique étrangère ? Incapable de tenir tête à Vladimir Poutine dans la crise ukrainienne. Incapable d’enrayer la tragédie syrienne. Incapable d’imposer sa volonté aux Israéliens (et aux Palestiniens). Incapable d’empêcher la Libye de basculer dans le djihadisme. Incapable d’entraîner les Européens dans une action concertée, ici ou là, etc. La liste est longue des bons ou mauvais procès intentés au président américain.
Le sentiment le plus volontiers partagé est celui de la déception – petite pour les uns, grande pour les autres. Rien de plus normal en un sens : Barack Obama est victime de son talent d’orateur. Ses grands discours sur l’état du monde sont brillants dans la forme, intellectuellement puissants, empreints d’un humanisme de portée universelle. A l’aune d’une telle verve, l’action diplomatique pâlit, peine, patine, affrontant la résistance et la complexité du réel.
A Washington, les néoconservateurs jugent que Barack Obama rabaisse le statut de l’Amérique. Ils flirtent avec l’accusation suprême, infâme, un temps portée, à tort, contre Bill Clinton : le président souffrirait du « wimp factor » – en gros, il aurait un comportement de mauviette. Sa politique de la main tendue à la Russie – le « reset » – est un échec.
Obama a multiplié les gestes à l’adresse de Moscou : pas d’extension de l’OTAN à l’Ukraine ou à la Géorgie ; démantèlement d’une partie du système antimissiles américain en Europe ; pas d’appui substantiel à la rébellion syrienne ; pas de réplique militaire après l’emploi de l’arme chimique par le protégé des Russes, Bachar Al-Assad – pourtant une « ligne rouge » édictée par la Maison Blanche. L’ensemble, disent les néoconservateurs, a été perçu au Kremlin comme autant de signes de faiblesse.
Les tenants de l’école réaliste, celle qui prône la realpolitik et se défie de l’angélisme, sont plus nuancés. Dernier secrétaire d’Etat du temps de la guerre froide, James Baker approuve la politique d’Obama en Ukraine. Au journaliste Charlie Rose qui lui demande, sur CBS, s’il pense que « Poutine voit Obama comme un faible », Baker répond : « Faible, non, (…) mais j’ai peur qu’il le perçoive comme inconsistant. » L’ancien secrétaire d’Etat incrimine la valse hésitation d’Obama en Syrie : « Un jour, il annonce qu’on bombarde et, le lendemain même, il soumet cette décision au Congrès ! »
Ex-professeur de droit, le président, qui a mesuré les limites de l’emploi de la force en Irak et en Afghanistan, préfère la diplomatie à la confrontation. Ex-officier du KGB, nostalgique de l’URSS, son homologue russe, qui ne croit qu’aux rapports de force, en aurait tiré la conclusion que Washington lui laisse la voie libre en Crimée.
PROBLÈME DE « CRÉDIBILITÉ »
Depuis l’épisode syrien, la diplomatie obamesque souffrirait d’un problème de « crédibilité ». La pusillanimité manifestée par la Maison Blanche au moment de l’emploi des gaz en Syrie aurait eu un effet de ricochets désastreux. Elle aurait encouragé l’aventurisme du Kremlin en Ukraine. L’annexion de la Crimée par les Russes aurait semé le doute chez les amis des Américains en Asie. Ceux-là s’interrogeraient maintenant sur la solidité de leur alliance militaire avec les Etats-Unis face à la montée en puissance de la Chine… Et Barack Obama aurait dû « ramer » toute la semaine passée, de Tokyo à Manille, pour les rassurer.
Ce scénario a fait l’objet d’un séminaire à la Brookings Institution de Washington dont l’un des participants, Rémy de Gournava, rend compte sur BoulevardExtérieur, le site de politique étrangère qu’anime Daniel Vernet. Aucun des experts sollicités par la Brookings ne nie l’importance des perceptions sur la scène internationale. Mais la plupart approuvent la politique ukrainienne d’Obama : reconnaissance des intérêts russes en Ukraine, offre permanente de dialogue avec le Kremlin, couplée d’un mécanisme progressif de sanctions.
Cette prudence, jugent-ils, ne peut pas être interprétée à Pékin comme un message de faiblesse. Formellement, l’Ukraine n’est pas un allié de Washington. Le Japon, la Corée du Sud, parmi d’autres, sont, eux, membres d’un système d’alliances avec les Etats-Unis, qui les contraindrait à agir en cas d’agression. « Cette différence-là est très claire pour les Chinois », dit Kenneth Lieberthal, ancien conseiller du président Clinton.
Reste cette impression d’indécision, de flottement dans la conduite de la politique étrangère américaine. Elle fait douter de la capacité des Etats-Unis à faire respecter un ordre international reposant sur un minimum de normes. Elle tient peut-être à Barack Obama : plus analyste que leader ?
Elle est surtout le reflet d’un monde qui n’est plus celui qui a immédiatement suivi la chute du mur de Berlin en 1989. Pendant quelques années, une courte parenthèse, l’Amérique a connu un moment « d’hyper puissance ». Il a masqué l’arrivée des émergents (Chine, Inde, Brésil, etc.) sur la scène internationale.
Les Etats-Unis sont aujourd’hui une super-puissance aux atouts inégalés, mais elle doit compter avec les autres super-puissances, naissantes, de l’époque. Or celles-ci lui dénient toute « supériorité morale ». Elles n’aiment pas forcément ce que Poutine fait en Ukraine, mais elles contestent aux Etats-Unis le droit de le « sanctionner ». Obama n’est pas mou. Il conduit sa politique étrangère dans un monde post-occidental.
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.