Google's Claws

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(Québec) Dans la plupart des pays occidentaux, Google écrase tous les autres moteurs de recherche, avec des parts de marché qui vont de 88 % au Canada jusqu’à 97 % en Inde. C’est un monopole, à toutes fins utiles, qui octroie au géant américain un pouvoir démesuré, et on doit se réjouir de la décision, rendue la semaine dernière par la Cour de justice de l’Union européenne, qui force Google à effacer de son index des références à une saisie effectuée chez un citoyen espagnol en 1998.

L’homme avait plaidé que ce litige était réglé depuis longtemps et que le rappel de cet incident lui causait un préjudice. Le jugement rendu est loin d’être parfait, il aura des effets pervers, mais c’est une nouvelle jurisprudence qui s’écrit, et il en faudra plusieurs autres avant que les lois parviennent à corriger le déséquilibre actuel.

Le risque, avec ce jugement, c’est qu’il permette à quiconque de maquiller son passé pour l’embellir, en biffant les éléments embarrassants. Seul l’usage nous permettra de voir si de nouveaux mécanismes seront nécessaires pour éviter une dérive.

La France, qui redoute de devenir une «colonie numérique» des États-Unis, s’est réjouie du jugement. La secrétaire d’État au numérique, Axelle Lemaire, constate que «les règles actuelles du droit de la concurrence ne sont pas du tout adaptées au secteur numérique». En Allemagne, le gouvernement Merkel songe aussi à resserrer ses lois pour éviter que Google exerce une discrimination envers des entreprises à travers son moteur de recherche.

Heureusement que des pays s’interposent pour protéger la zone d’influence des gouvernements. Même si l’État lui-même peut se livrer à des abus, il reste qu’à travers un gouvernement, ce sont des citoyens qui s’expriment. C’est par les législations, et les tribunaux, que les citoyens fixent les limites qu’ils jugent nécessaires à leur sécurité.

En plus de son monopole sur les moteurs de recherche, Google domine le marché avec ses autres plateformes, comme YouTube pour le vidéo, le courrier électronique Gmail et le système d’exploitation mobile Android. Un tel pouvoir devrait nous inquiéter au plus haut point.

Le jugement de la Cour européenne alimente un débat nécessaire sur la nature de l’information qui s’accumule à un rythme effarant sur le Web. Dans le monde physique, les données personnelles jouissent de certaines protections. Avec le temps, on doit trouver une façon de transposer ces protections dans le monde numérique, même si les Google et Facebook de ce monde traitent le droit à la vie privée comme une relique du passé, appelée à disparaître.

L’histoire récente nous apprend que les empires eux aussi peuvent disparaître, surtout dans l’univers numérique. Microsoft a raté sa transition vers les plateformes mobiles et la dernière version du système d’exploitation Windows est un échec. Blackberry, qu’on croyait indestructible, a implosé.

Google peut sembler inattaquable, mais c’est justement sa position de force qui pourrait la rendre vulnérable à des mesures antitrust, comme celles qui ont mené à l’éclatement d’AT & T en 1982. Ce scénario est déjà évoqué en Allemagne par de grands éditeurs.

Compte tenu du monopole de Google sur la recherche, ne pourrait-on pas considérer cette fonction comme une composante intrinsèque du Web, qui devrait être gérée par la communauté?

Ce n’est pas une utopie. Il existe déjà une organisation, le World Wide Web Consortium (W3C), dont la mission est justement de définir les standards et les protocoles qui permettront au Web d’atteindre son plein potentiel. Près de 400 organisations en sont membres, des gouvernements, des universités, de petites et grandes entreprises, dont Google. Ça serait la plateforme idéale pour assurer l’indépendance et l’équité d’un moteur de recherche, pour le bien de tous.

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