Death Penalty in the USA: Execution without Suffering, a Way to Relieve the Executioner

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LE PLUS. En avril dernier, la mort par agonie du condamné américain Clayton Lockett, dont la cause serait l’expérimentation d’une nouvelle procédure d’injection létale, ouvrait le débat sur l’exécution “humaine”. Pour apaiser la conscience du bourreau ? C’est ce que pense Mugambi Jouet, juriste ayant assisté la défense de condamnés à mort aux États-Unis.

L’indignation provoquée par l’agonie du condamné à mort Clayton Lockett en Oklahoma ravive aux États-Unis un long débat historique sur la manière “humaine” d’exécuter les prisonniers.

Avant que l’injection létale ne devienne la méthode de choix pour mettre à mort les condamnés, la société américaine avait eu recours à la pendaison, la fusillade, la chaise électrique et même la chambre à gaz.

L’évolution vers une méthode d’exécution “sans douleur” est souvent perçue comme un signe de progrès. La société américaine paraît ainsi de plus en plus préoccupée par le bien-être de ses prisonniers.

Plus de la bonne conscience que de l’empathie

En réalité, la quête d’une méthode d’exécution indolore n’est pas animée par une quelconque empathie pour les condamnés à mort. Cette recherche reflète plutôt une tentative d’atténuer les troubles de conscience suscités par le fait de tuer de sang froid un être humain. Édulcorer le processus d’exécution en ayant recours à l’injection létale – souvent imaginée comme une euthanasie compatissante – est une démarche que les partisans de la peine de mort effectuent pour leur propre confort moral.

“Adoucir” la mise à mort des prisonniers diminue les scrupules des bourreaux, comme l’avait démontré Austin Sarat dans son livre “When the state kills” (“Quand l’État tue”, Princeton Ed., 2002). Chaque défenseur de la peine de mort devient indirectement un bourreau dans un état démocratique appliquant ce châtiment. Ces circonstances expliquent le tollé provoqué par l’exécution “ratée” de Lockett et l’exigence que les exécutions soient dorénavant menées de façon “humaine”.

Le supplice de Lockett semble avoir été précipité par l’usage de produits chimiques non conformes lors de son injection létale, en partie dû au fait que les États européens refusent à présent que leurs laboratoires ne fournissent ces produits aux prisons américaines. Des réformes visent actuellement à remédier à cet obstacle aux États-Unis, sans pour autant remettre en cause la peine capitale.

Parmi les défenseurs de la peine de mort, combien arriveraient à y faire face ?

Les partisans de la peine de mort souhaitent que l’État exécute les condamnés en leur nom sans pour autant avoir à faire face à cet acte. Tous ces partisans ne seraient pas aptes à attacher eux-mêmes un être humain sur une civière et injecter du poison dans ses veines jusqu’à sa mort. Les confronter à cette réalité pourrait susciter des réserves parmi les personnes concevant la peine de mort d’une façon abstraite et idéalisée.

Dans sa “Lettre sur les aveugles”, Denis Diderot écrivait que “nos vertus dépendent de notre manière de sentir” et que “bien des gens n’eussent moins de peine à tuer un homme à une distance où ils ne le verraient gros que comme une hirondelle, qu’à égorger un bœuf de leurs mains”.

De même, les partisans enthousiastes de la peine de mort pourraient avoir des doutes s’ils étaient contraints d’exécuter quelqu’un eux-mêmes.

L’Histoire suggère néanmoins que la plupart des gens sont capables de tuer de sang froid dans certaines circonstances. Nous savons que les génocides de la Seconde Guerre mondiale, de la Bosnie et du Rwanda furent des atrocités extraordinaires commises, en bonne partie, par des gens ordinaires. Il est donc possible que maints partisans de la peine de mort aux États-Unis et ailleurs soient capables de mettre à mort des prisonniers eux-mêmes, d’autant plus que les méthodes d’exécution modernes ont été “adoucies” pour atténuer les troubles de conscience des bourreaux.

Les États-Unis, seule démocratie occidentale à pratiquer la peine capitale

Les États-Unis sont parmi les pays qui exécutent le plus de prisonniers avec des États autoritaires, dont la Chine, l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Corée du Nord. Aucune autre démocratie occidentale n’a plus recours à la peine de mort, qui est désormais abolie en droit ou pratique dans plus de deux-tiers des pays du monde.

Dix-huit des cinquante États américains ont toutefois aboli ce que le juge de la Cour suprême Harry Blackmun avait dénommé lors de l’affaire Callins contre Collins, “la machine de la mort”.

Cependant l’opposition à la peine capitale en Amérique se fonde principalement sur des problèmes liés à son application, tel que le risque d’exécuter les innocents ou la discrimination raciale. En revanche, l’opposition à la peine capitale dans la plupart des autres pays est largement ancrée dans la conviction qu’il s’agit d’une violation fondamentale des droits de l’homme car chaque exécution porte atteinte à la dignité humaine.

La recherche de méthodes d’exécution “humaines” perdure en Amérique. Pourtant il y a des raisons d’être sceptique lorsqu’un État décrète qu’un prisonnier doit être exécuté car sa vie n’a absolument aucune valeur – et que cet État déclare simultanément être très concerné par le fait d’infliger de la souffrance au condamné.

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