America and Global Order

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L’Amérique et l’ordre mondial

Le monde ne peut-il être en ordre que sous la domination des Etats-Unis? C’est ce que continue de prétendre l’ancien vice-président américain Dick Cheney. Pour ce néoconservateur qui dicta la politique des Etats-Unis sous l’ère de George W. Bush, l’actuel résident de la Maison-Blanche a tout faux. Vraiment?

La tribune de Dick Cheney dans le Wall Street Journal intitulée «L’effondrement de la doctrine Obama» (LT du 20.06.2014) a le mérite de nous rappeler, ici en Europe, vers quelles dérives la première puissance militaire mondiale peut conduire le monde lorsqu’elle est mal guidée. Elle souligne aussi à quel point la politique étrangère des Etats-Unis diverge en fonction de l’alternance démocratique. S’il est vrai que la défense de ses intérêts fondamentaux survit aux aléas des changements d’administrations, la méthode pour y parvenir peut varier du tout au tout.

Pour Dick Cheney, l’homme qui a gouverné les Etats-Unis sous l’ère de Bush fils, la résurgence spectaculaire des mouvances djihadistes salafistes au Proche-Orient serait imputable à l’inaction coupable de la Maison-Blanche, son locataire préférant parler à ses ennemis plutôt que renforcer ses amis. A en croire l’ex-vice-président, la guerre en Irak déclenchée en 2003 avait parfaitement atteint ses objectifs: renforcer le leadership américain dans le monde et stopper Al-Qaida. Les complices européens de cette politique néoconservatrice – à commencer par Tony Blair qui publie ces jours-ci dans la presse une tribune pour tout dire pathétique – redonnant de la voix, il est utile de rappeler certains faits concernant l’intervention américaine en Irak: aucune guerre depuis le Vietnam n’a autant érodé le leadership américain; cette intervention a surtout profité à l’Iran chiite et à la Chine communiste devenue le premier importateur de brut irakien; alors que l’Irak était exempt de combattants salafistes avant 2003, ce pays est devenu l’épicentre du mouvement djihadiste qui, après s’être déversé en Syrie, revient à présent sur ses terres; en renversant un régime tyrannique sur la base de mensonges, l’Amérique de Bush a discrédité l’idée de liberté; enfin, la démocratie implantée en Irak s’avère un Etat en faillite du simple fait qu’elle n’est pas née d’une aspiration du peuple irakien mais qu’elle a été importée par les bombes.

On pourrait encore évoquer le coût de cette guerre (35 000 dollars de dépense par foyer américain) et l’affaiblissement des Etats-Unis qui s’en est suivi ainsi que le nombre de victimes civiles irakiennes (500 000 selon certains décomptes). C’est à l’aune de ce désastre qu’il faut juger la politique étrangère de Barack Obama, en particulier au Proche-Orient. Son approche est aux antipodes de celle de Dick Cheney. Il veut comprendre avant d’agir, convaincre plutôt que dicter, négocier plutôt que frapper, tout cela dans un monde où le relatif déclin de la puissance américaine est mécanique du fait de l’émergence de nouveaux pôles de croissance économique. S’il faut frapper, ce sera pour une cause claire, sur le bon terrain et avec les bons alliés.

Dick Cheney ne pose qu’une seule bonne question. Ou plutôt, c’est une affirmation: sans la prééminence des Etats-Unis, il ne peut y avoir d’ordre mondial. Vraiment? L’ébullition internationale actuelle (tension en Asie de l’Est, bouleversements arabes, agressivité russe, conflits africains, etc.) peut inciter à le suivre dans ce raisonnement. C’est pourtant une illusion. Il n’y a jamais eu d’ordre mondial garanti par les Etats-Unis. Il y a des alliances régionales qui relèvent d’une pax americana, mais pas de suprématie planétaire. Même après la chute de l’URSS et la courte phase d’une hyperpuissance américaine, le monde est demeuré une sorte de grand désordre. L’ordre mondial de Cheney est le dessein d’une certaine droite américaine, missionnaire, impérialiste et raciste. Le seul ordre mondial légitime ne peut être issu que de l’ONU.

La plus puissante démocratie du monde ne peut prétendre à régenter le monde au nom d’un idéal qui serait par définition bafoué par sa simple mise en œuvre. Les Etats-Unis doivent défendre des valeurs – la liberté, la démocratie –, favoriser leur implantation partout où il y a une demande. Mais ils n’ont pas à s’arroger le rôle de gendarme planétaire. On pourrait le souhaiter au vu de l’émergence de puissances autoritaires qui, de plus en plus, contestent l’universalité des droits de l’homme. Mais ce n’est tout simplement pas réaliste. Et cela, Barack Obama l’a parfaitement compris.

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