L’approche « originaliste » vise essentiellement à mettre de côté la jurisprudence progressiste de l’après-guerre
La Cour suprême américaine a rendu une série de jugements au cours des dernières semaines dans lesquels les cinq juges conservateurs ont imposé leurs vues à leurs quatre collègues progressistes. Dans le jugement Hobby Lobby, la Cour a statué qu’une entreprise privée n’est pas tenue de payer les frais d’assurance pour les moyens de contraception d’une femme si ceux-ci vont à l’encontre des valeurs religieuses des propriétaires. Auparavant, dans Harris vs Quinn, la Cour avait statué que des employés paragouvernementaux n’avaient pas à payer les cotisations syndicales même s’ils bénéficient de la protection du syndicat. L’objectif de la Cour suprême dirigée par le juge John Roberts depuis 2005 est clair : par des jugements sur des causes très précises, elle souhaite établir une jurisprudence permettant de renverser les avancées dans le domaine des droits civiques obtenues dans les années 1950-1970, de réduire le champ d’action de l’État et de déréglementer l’économie.
Deux raisons expliquent l’orientation actuelle de la Cour suprême. Tout d’abord, la révolution conservatrice amorcée sous la présidence de Ronald Reagan a fait en sorte qu’entre les mains des républicains, la Maison-Blanche a placé des juges très conservateurs à tous les niveaux de l’appareil judiciaire fédéral. Ceci a créé un bassin de candidats qui ont éventuellement été nommés à la Cour suprême. Ce qui est nouveau est la ferveur idéologique des juges, les candidats étant choisis en fonction de la solidité de leurs convictions avant tout. Pendant le discours de l’état de l’Union en 2010, le très conservateur juge Samuel Alito avait par exemple littéralement accusé Barack Obama de mentir en disant « It’s not true ! » lorsque ce dernier avait affirmé que le jugement Citizen’s United (2010) ouvrait la porte à un financement sans limites. Jusqu’à ce moment, la tradition avait permis une meilleure répartition des candidatures et de toute façon, les positions n’étaient pas aussi polarisées, même chez les conservateurs.
En second lieu, les juristes conservateurs vont créer au milieu des années 1980 un paradigme permettant de renverser rapidement la jurisprudence progressiste s’étant accumulée depuis l’après-guerre. Cette approche, dite « originaliste » cherche en résumé à découvrir exactement ce que pensaient les Pères fondateurs lorsqu’ils ont rédigé la Constitution, un principe que certains désignent sous l’acronyme WWJMD ? (What Would James Madison Do ?), Madison étant le principal architecte de la Constitution en 1789. Ceci se fait par l’analyse syntaxique de la Constitution et le choix de chaque mot en fonction du sens que ceux-ci avaient au XVIIIe siècle. La recherche des grands principes ayant guidé les avancées comme l’accès à l’avortement dans le jugement Roe vs Wade (1973) par exemple est donc mise de côté au profit d’une analyse littérale, méthode qui rappelle la manière dont on décrypte des textes sacrés. Cette forme de fondamentalisme constitutionnel permet aux conservateurs de la Cour Roberts d’outrepasser la jurisprudence et d’affirmer qu’ils connaissent le sens originel de la Constitution, seule approche légitime dans leur domaine. Ce fondamentalisme constitutionnel est un moyen de clore les débats juridique et politique en ramenant tout à une interprétation la plus limitée possible de la Constitution.
Chez nous, après avoir placé ses partisans au Sénat, le gouvernement de Stephen Harper a tenté, sans succès, d’imposer son candidat à la Cour suprême. Malgré tout, comme aux États-Unis, lorsque le gouvernement tente de politiser les questions juridiques, c’est la crédibilité de l’institution qui en souffre.
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