Au travers d’OPA transfrontalières, de plus en plus de groupes cherchent à localiser leur siège hors des États-Unis.
Le laboratoire britannique Shire a finalement cédé: vendredi, il a accepté l’offre de quelque 32 milliards de livres (plus de 40 milliards d’euros) de l’américain AbbVie. Une OPA géantequi jette un peu plus d’huile sur le feu dans le débat qui agite Washington depuis plusieurs semaines sur le phénomène de «tax inversion». L’inquiétude des autorités augmente en effet à mesure que se multiplient les opérations de fusions et acquisitions qui impliquent une forme de délocalisation fiscale des sociétés américaines.
Mardi dernier, Jack Lew, le secrétaire au Trésor de Barack Obama, a adressé une lettre aux présidents des commissions budgétaires des deux Chambres pour leur demander de mettre fin «immédiatement» à ces «abus du système fiscal». Il propose aux parlementaires, au nom du «patriotisme économique» une mesure d’urgence pour bloquer rétroactivement les avantages fiscaux associés au rachat par des entreprises américaines de sociétés étrangères.
En l’état actuel du Code des impôts, dès qu’une société dont le siège fiscal est aux États-Unis voit la proportion de ses actionnaires étrangers grimper au-dessus de 20 %, elle devient libre de changer de domicile fiscal.
Une opportunité qu’ont décidé de saisir plusieurs grands noms de l’économie américaine, avec une prédilection pour une relocalisation de leur feuille d’impôt à Londres ou à Dublin. Le géant de la banane Chiquita Brands a jeté son dévolu sur l’irlandais Fyffes. Medtronic (dispositifs médicaux) veut racheter l’irlandais Covidien (43 milliards de dollars). Le laboratoire Mylan va passer aux Pays-Bas en rachetant une partie d’Abbott pour 5,3 milliards de dollars. La chaîne géante de drugstores Walgreen envisage une pareille opération avec le suisse Alliance Boots.
Dans le domaine du jeu, l’américain IGT a lui accepté de se faire racheter par l’italien G-Tech ; pas de «tax inversion» dans leur cas, mais une délocalisation fiscale du nouvel ensemble dont le siège est prévu de s’installer au Royaume-Uni.
Le phénomène s’accélère
Le mois dernier, surtout, c’est le géant de la pharmacie Pfizer qui a voulu franchir le pas en avalant Astrazeneca. Le britannique a résisté à une offre de quelque 117 milliards de dollars! Mais cette opération avortée, au cours de laquelle Pfizer a plusieurs fois relevé sa proposition comme l’a fait – avec succès pour sa part – AbbVie pour Shire, prouve combien la perspective de gains offerte par la «tax inversion» permet aux groupes américains de payer cher leurs cibles européennes.
Une commission du Congrès estime à 20 milliards de dollars les recettes fiscales perdues sur dix ans pour l’Oncle Sam si la délocalisation fiscale des entreprises continue. Les États-Unis sont le seul pays du G7 à imposer les entreprises, comme les particuliers du reste, sur l’ensemble de leurs revenus dans le monde, dès lors qu’ils sont rapatriés sur le sol américain.
Une règle propre avec des effets pervers: les géants américains comme Boeing, Microsoft, Apple, Google, GE ou IBM ont accumulé quelque 2000 milliards de dollars de bas de laine à l’étranger, qui échappent ainsi aux 35 % de la taxe américaine sur les bénéfices.
En réalisant une opération de «tax inversion», les entreprises cherchent à pouvoir utiliser les bénéfices réalisés à l’étranger dans un cadre fiscal plus favorable, comme celui de l’Irlande (12,5 % de taux d’impôt sur les bénéfices). «Nous n’avons pas fait l’opération (de rachat de Shire) pour les seules raisons fiscales, a affirmé le patron d’AbbVie Richard Gonzales vendredi. Mais nous avons besoin d’avoir accès à nos revenus mondiaux». «Aujourd’hui, nous souffrons d’un désavantage vis-à-vis de nos concurrents étrangers, et c’est cela qui devrait être le débat au sujet du Code des impôts», a-t-il ajouté.
Pour Washington, le phénomène est d’autant plus inquiétant qu’il semble s’accélérer. Comme si les entreprises, portées aussi par la frénésie de fusions et acquisitions favorisée par des financements abondants, voulaient profiter de l’opportunité avant que la loi change. Shire a négocié une indemnité de 3 % de la transaction avec AbbVie en cas d’échec de la transaction, notamment pour cause de changement des règles fiscales.
Il est pourtant peu probable qu’une loi limitant ou interdisant la «tax inversion» soit votée à court terme, c’est-à-dire avant les législatives de novembre. Les républicains qui dominent la Chambre des représentants ne veulent traiter du problème qu’au travers d’une vaste réforme fiscale. Or les chances de rédaction d’un tel projet avant l’an prochain sont pratiquement nulles.
Au Sénat les démocrates disposent certes d’une courte majorité, mais ils sont divisés. Et le manque d’implication personnelle du président Obama sur cette question n’arrange rien.
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