Le 22 juillet 1944, il y a soixante-dix ans, étaient signés les accords de Bretton Woods qui créaient le FMI, la Banque mondiale et consacraient la domination internationale de la monnaie américaine, le dollar. Au tournant des années 1970, les parités de change fixes et la convertibilité à prix fixe du dollar en or, qu’avaient instituées Bretton Woods, ont été démantelées. Durant les années 1980 et au tout début des années 1990, les restrictions au flux de capitaux – qui avaient prévalu depuis la guerre, sauf aux Etats-Unis – ont été à leur tour démantelées.
Ni l’émergence de concurrents (le mark puis l’euro, le yen et maintenant le renminbi chinois), ni les attaques frontales (la conversion en or des réserves des banques centrales en dollar, dans les années 1960), ni les dysfonctionnements de l’économie américaine, parfois très graves (inflation et déficits publics dans les années 1960-1970, quasi-effondrement du système financier en 2008), ni les institutions monétaires régionales plus ou moins concurrentes du FMI (comme l’initiative de Chiang Mai en Asie), ni l’indifférence américaine aux problèmes des autres n’ont, jusqu’à présent, eu raison de la primauté du billet vert.
L’illustration la plus forte de cette primauté maintenue a été l’appréciation du taux de change américain au plus fort de la crise de 2008-2009. Cette domination n’est certes pas éternelle. Avant le dollar, il y avait eu la livre sterling et il y aura certainement un après. Mais, quand adviendra-t-il et en quoi consistera-t-il ?
La primauté du dollar est fondée sur deux piliers : la domination économique américaine et ses implications géopolitiques, et la confiance que le système économique et financier des Etats-Unis inspire. Il est probable que le recul et, finalement, l’éviction du dollar résulteront de l’affaissement de ces deux piliers. Au demeurant, la dynamique de la reprise actuelle aux Etats-Unis, certes fragile et sans doute génératrice de nouveaux déséquilibres financiers, ne laisse pas penser que le déclin relatif et sans doute irrémédiable, de la puissance américaine connaît une phase d’accélération brutale.
Pour la succession, trois voies sont possibles. La première est volontariste. Elle consiste à mettre en place un ordre public monétaire international harmonieux. C’est cette approche qui est sous-jacente à l’idée d’une « réforme du système monétaire international ». Des institutions efficaces, dotées des moyens adéquats (très certainement une monnaie internationale) seraient chargées de la régulation monétaire internationale.
La seconde est cynique. L’ordre public monétaire international découle avant tout de la puissance économique hégémonique et de la capacité à s’imposer comme un modèle. C’est la situation qui a – pour l’essentiel – prévalu depuis la fin du XIXe siècle. Si le dollar est un jour remplacé, ce sera par une autre puissance monétaire internationale, à la fois plus forte et davantage en mesure d’inspirer la confiance que les Etats-Unis.
La troisième voie est une synthèse, relativement minimaliste mais pragmatique, des deux précédentes qui valorise des approches régionales avec l’espoir que ces approches soient rendues complémentaires dans un cadre multinational. Cette voie trouve un écho dans l’expression « filets de sécurité financiers internationaux » (global financial safety nets).
Les évolutions les plus récentes laissent penser que les deux dernières approches tendent à se combiner tandis que la première apparaît dans les limbes.
Ainsi, les accords d’échange de liquidités (« swaps ») entre la réserve fédérale américaine et plusieurs banques centrales ont créé un nouveau filet de sécurité incontestablement efficace. Dans le même temps, ces accords – qui ont été institutionnalisés à l’automne 2013 – échappent à tout cadre international. Ils réduisent le rôle du FMI et confortent la puissance américaine.
Depuis 2009, des initiatives ont été prises en matière de régulation financière au sein du G20. Elles sont désormais coordonnées de manière plus étroite par le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board, FSB). Cela peut être compris comme le produit de la volonté américaine de consentir à une harmonisation minimale pour favoriser la poursuite d’un processus de globalisation financière qui leur a été jusqu’à présent favorable.
De son côté, la Chine mène une politique d’internationalisation du renminbi qui comporte également un volet d’accords d’échange de liquidités entre les banques centrales. Cette politique vise, certes, à mieux structurer une zone monétaire asiatique, à éliminer des coûts et des risques liés au passage des transactions commerciales et financières par des monnaies tierces. Il est toutefois difficile d’imaginer que toute ambition monétaire hégémonique est absente de cet effort méthodique.
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