Big Brother’s Damage

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On a commencé à évaluer aux États-Unis le coût des nombreux dommages collatéraux causés par la NSA et son espionnage tous azimuts. On parle du coût en matière de qualité de vie démocratique et du coût financier.

La liberté de la presse est affectée. Au Canada, le gouvernement a interdit à la plupart de ses fonctionnaires de discuter avec les journalistes des dossiers dont ils s’occupent, même si la sécurité nationale n’est pas en jeu. Aux États-Unis, on a de surcroît injecté dans l’esprit des fonctionnaires l’idée, presque assurément vraie, que leurs conversations téléphoniques et leurs courriels sont interceptés et fichés, donc susceptibles d’être utilisés contre eux à un moment donné.

Ils songent ensuite à ce qu’ont vécu Edward Snowden et le soldat Bradley Manning (la source des WikiLeaks de Julian Assange) et ils se disent que la même chose peut leur arriver. Ils y pensent donc à deux fois avant de renseigner les membres du quatrième pouvoir.

La peur de Big Brother ne s’installe pas seulement chez les fonctionnaires, d’ailleurs. « Les gens sont plus disposés à parler ouvertement s’ils sont certains que leurs conversations resteront privées. Qu’il s’agisse d’un client se confiant à son avocat, d’un patient parlant à son médecin, d’une source parlant à un journaliste ou d’un partisan d’une cause impopulaire communiquant avec d’autres sympathisants, la communication pâtit quand la vie privée est menacée », estime Kenneth Roth, le directeur exécutif de Human Rights Watch, sur le site Internet de l’organisation.

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En collaboration avec l’Association américaine des libertés civiles (ACLU), Human Rights Watch a interviewé récemment une cinquantaine de journalistes, qui leur ont dit que leurs sources sont de plus en plus réticentes à leur parler. Elles craignent de perdre leur cote de sécurité et même leur emploi ou, pire, d’avoir maille à partir avec la justice criminelle.

Les journalistes adoptent de nouvelles méthodes de travail : cryptage des messages, utilisation d’ordinateurs non connectés au cyberespace et de téléphones à la carte jetables. « Je ne veux pas que le gouvernement me force à me comporter comme un espion, je n’en suis pas un », s’est plaint un reporter. Par ailleurs, les journalistes européens tendent de plus en plus à utiliser des services de courriel qui ne sont pas américains, jugeant moins grand le risque d’être épié par la National Security Agency.

En espèces sonnantes et trébuchantes, qui paie le gros prix pour les dégâts causés par la NSA ou, si l’on préfère, par le fait qu’Edward Snowden a révélé au grand jour ses pratiques douteuses ? Selon la New America Foundation, un groupe de réflexion américain, ce sont principalement l’industrie de l’« informatique en nuage » et des secteurs connexes, dont la fabrication des serveurs. On parle notamment de Microsoft, d’Oracle, d’IBM, de Hewlett-Packard. Forrester Research, une entreprise américaine de services-conseils, calcule que les pertes, pour les fournisseurs de services « cloud », pourraient atteindre 180 milliards de dollars d’ici à 2016. On ne pleurera pas, mais la somme est gigantesque si le calcul s’avère réaliste.

En Chine, une société informatique, Inspur, profite des craintes suscitées par les révélations d’Edward Snowden pour pousser les ventes de ses serveurs, grugeant des parts de marché aux dépens de géants du secteur comme IBM et Hewlett-Packard. Plusieurs entreprises chinoises croient que leurs données ont de meilleures chances d’être à l’abri de la curiosité de la NSA si elles logent dans des « nuages » nationaux.

Puisqu’il est question d’argent, notons que l’ex-directeur de la NSA, Keith Alexander, a récemment fondé une entreprise et qu’il vend ses services pour près d’un million de dollars par mois.

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