Les « lignes rouges » à géométrie variable de Barack Obama
Les mois d’août se suivent mais ne se ressemblent pas pour Barack Obama, comme le montre la décision d’autoriser des frappes américaines contre les djihadistes en Irak depuis 48 heures.
Août 2013 : l’emploi des armes chimiques par le régime Assad en Syrie correspond au franchissement d’une « ligne rouge » énoncée par Barack Obama pour agir contre l’armée gouvernementale. Des frappes aériennes sont en préparation entre les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. Après la défection des Britanniques, Barack Obama recule, laissant la France toute seule et surtout les Syriens tous seuls.
Août 2014 : nouvelle avancée des djihadistes de l’Etat islamique (EI), qui s’en prennent aux minorités irakiennes, les chrétiens, les yézidis, les kurdes… Face à la menace de voir les djihadistes enfoncer les lignes des peshmergas, les combattants kurdes, et le désastre humanitaire qui se produit, Barack Obama prend, très vite, la décision d’engager des frappes de drones et de jets contre les positions de l’EI.
Les hésitations du « Commander-in-chief »
Cherchez l’erreur. Pourquoi l’indécision et finalement la débandade diplomatique de la fin d’été 2013 se transforment-elles en proclamation martiale du « Commander-in-chief » un an plus tard ?
Il ne s’agit pas ici de savoir si c’est « bien » ou « mal » : il suffit de voir la barbarie du comportement des combattants de l’EI, tant par les témoignages de rescapés que par les photos d’exécutions impossibles à montrer qu’ils affichent sur les réseaux sociaux, pour comprendre que les populations concernées accepteraient l’aide de tous ceux qui la proposeraient, fut-elle du Diable…
La question est plus de comprendre ce qui motive Obama, lorsqu’il intervient comme lorsqu’il n’intervient pas.
En mai, Barack Obama a défini sa « doctrine » d’intervention lors d’un discours important devant les cadets de West Point, l’académie militaire américaine. Celle-ci se résume à un éloge de la retenue, par opposition à l’interventionnisme forcené des Etats-Unis dans leur période d’hyperpuissance, conduisant aux embourbements d’Irak et d’Afghanistan dont Obama tente encore de les extirper, non sans mal, on le voit.
Intérêts vitaux des Etats-Unis
Une retenue qui, selon le président américain, n’est pas incompatible avec un leadership préservé, mais transformé, plus soucieux de bâtir des coalitions, des alliances, dans un monde devenu multipolaire et redevenu dangereux.
Le critère de l’intervention ou de la retenue, selon lui, dépend donc de savoir si les intérêts des Etats-Unis ne sont pas directement en jeu. Ainsi, en 2013, Washington a conclu que les intérêts vitaux des Etats-Unis n’étaient pas en jeu dans le conflit syrien, quel que soit le degré d’horreur et de régression que constitue l’emploi de l’arme chimique.
Mais en 2014, ces intérêts seraient plus grands dans l’offensive djihadiste ? La réponse américaine tient au désastre humanitaire, au sort des minorités, et à la volonté de protéger le Kurdistan, apparu ces derniers temps comme le dernier bastion de stabilité relative de la région, résolument tourné vers l’Occident et en particulier les Etats-Unis.
Pour ajouter une couche de complexité au raisonnement, nombreux seront ceux qui verront dans la passivité américaine (et plus généralement occidentale) face aux bombardements disproportionnés de la bande de Gaza par Israël, un exemple de deux poids, deux mesures, qui ne sera pas de nature à réconcilier le Moyen-Orient avec les Etats-Unis.
Mais si l’on s’en tient au parallèle entre la non-intervention en Syrie et les frappes des derniers jours en Irak, on voit bien les limites de la cohérence stratégique de la première puissance mondiale. Car la menace aujourd’hui identifiée comme mettant en jeu les intérêts américains, a grandi et a prospéré sur l’inaction… en Syrie.
Les djihadistes, qui étaient marginaux lors du déclenchement du soulèvement syrien, et largement isolés au même moment dans le contexte irakien, se sont nourris de l’impasse syrienne, dans laquelle la résistance non-djihadiste pourtant reconnue par les Occidentaux, n’a pas réussi à l’emporter.,
Echec des fins de guerre
Difficile de réécrire l’Histoire et de savoir ce qui se serait passé si les fameuses frappes franco-américaines annoncées l’an dernier s’étaient bien produites ; toujours est-il que la guerre syrienne a permis l’offensive irakienne et la tentative de déstabilisation du Liban en cours.
Plus que la détermination d’Obama, c’est plutôt son échec que sanctionnent les événements d’Irak. La difficulté de réellement définir une doctrine lorsqu’on avance à reculons, animé par le désir louable de se désengager, mais sans avoir été capable de gérer des fins de guerre pérennes, que ce soit en Afghanistan ou en Irak.
Pour les chrétiens, les yézidis et les Kurdes, les frappes américaines apporteront peut-être le répit nécessaire et un coup d’arrêt à l’avancée djihadiste – et c’est beaucoup. Elles ne constituent assurément pas une réponse à la crise politique, religieuse, identitaire, de cette région.
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