Ferguson Marks the Return of the Black Question

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Il n’y a pas à feindre l’innocence devant la résurgence, aux Etats-Unis, du conflit racial dont les émeutes de la petite ville de Ferguson, dans la banlieue de Saint-Louis (Missouri), sont actuellement le centre symbolique. Au cours des dernières années, une succession d’incidents impliquant les autorités a ravivé le sentiment d’injustice ressenti par la communauté noire.

En juillet 2013, un tribunal de Floride a acquitté le meurtrier de Trayvon Martin, un adolescent noir, au nom du principe de légitime défense, alors que la victime n’était pas armée.

Plus récemment, le 17 juillet, Eric Garner, un vendeur de cigarettes à la sauvette, est mort après avoir été durement interpellé par la police new-yorkaise. Il n’y a donc guère lieu de s’étonner de l’embrasement qui a suivi la mort, le 9 août, de Michael Brown, abattu de six balles par un policier dans la petite ville de Ferguson.

Mais au-delà de ces faits divers, ce soudain accès de colère peut également s’expliquer par la déception politique des Africains-Américains face à l’échec de la présidence Obama.

LE SYSTÈME POLITIQUE EST BLOQUÉ

L’élection de ce premier président noir, en novembre 2008, a représenté en effet un vif espoir. La gauche progressiste a cru ainsi conclure une longue lutte. Près de cinquante ans après l’adoption de la loi consacrant l’égalité des droits civiques, on a voulu croire que la raison l’avait emporté et que les valeurs de liberté chères à l’Amérique avaient triomphé sur le plan intérieur, comme elles l’avaient fait à l’échelle internationale avec la chute du Mur, en 1989.

Hélas ! les républicains se sont montrés hostiles au nouveau président dès son accession au pouvoir. La main tendue par la Maison Blanche a été rejetée, le leader des républicains au Sénat a dit haut et fort que son devoir était de s’assurer que Barack Obama ne soit pas réélu. Ainsi, malgré de longues tractations, aucun compromis n’a été trouvé.

La plus grande réussite du premier mandat d’Obama – la réforme de la santé au bénéfice des nombreux exclus – a été votée uniquement par sa majorité démocrate… Ce qui n’a fait qu’aiguiser les rancunes républicaines contre ce qu’ils dénoncent comme l’« Obamacare ».

Cet esprit revanchard a pris la forme d’une sorte de jacquerie : le Tea Party, dont la mobilisation, en 2010, pour les élections de mi-mandat, a donné une majorité à la Chambre aux républicains. Depuis lors, le système politique est bloqué, l’opinion publique divisée et la démagogie règne.

LES FORCES SÉGRÉGATIONNISTES NE SONT PAS VAINCUES

On comprend alors que la déception se soit emparée de ce qu’on appelle (sans trop de précisions sociologiques, mais c’est une autre question) la communauté noire. Les Africains-Américains n’ont-ils pas joué le jeu pour faire entendre leur voix. Mais leur vote semble aujourd’hui illusoire : le président qu’ils ont élu est impuissant ! Les forces ségrégationnistes ne sont pas vaincues ; au contraire, elles ont repris du poil de la bête pour devenir plus virulentes qu’avant. On est seuls, il faut se défendre seuls.

Il y a une autre leçon à en tirer : les institutions démocratiques qui devaient défendre l’égalité de tous les citoyens sont impuissantes. La présidence n’a pas le pouvoir que semble lui garantir la Constitution. Le président est coincé, il peut prodiguer de charmants discours lénifiants mais il est incapable de nous protéger.

Ceux qui disaient aux Noirs de prendre patience, de faire confiance aux institutions, de voter aux élections et de s’organiser politiquement, les ont leurrés. Du moins, les Africains-Américains peuvent-ils le croire, comme si le vote noir servait des candidats inféodés à Wall Street, sans que ne s’améliorent les conditions de vie la communauté noire, qui continue de subir quotidiennement les mêmes vexations, petites et grandes.

Barack Obama, qui ne cesse de prêcher l’appel à la raison, l’esprit du compromis et une politique dépassant les intérêts particuliers, est ou bien un naïf (car trop bercé par les institutions blanches et de Wall Street pour comprendre l’âpreté de l’opposition) ou bien un banal mais charismatique homme politique qui est, comme les autres, acheté par les lobbies et incapable de transformer ses « préférences » (bonnes, qui nous inspirent) en « convictions » (pour lesquelles il est prêt à se battre et, nous, à le soutenir).

L’EXPLOSION N’ÉTAIT QU’UNE QUESTION DE TEMPS

Voilà la toile de fond qui permet de comprendre comment et pourquoi la révolte grondait avant d’éclater à Ferguson. Il faudrait y ajouter un élément : le 11-Septembre et la grande peur qui a suivi. Sans y revenir dans le détail, il faut rappeler que, dans la foulée, le Congrès avait créé un ministère – celui de la sécurité intérieure (Homeland Security) – qui a été doté de ressources apparemment illimitées.

Ce ministère a décidé d’armer militairement les forces de police locales afin de faire face à toute menace. C’est ainsi qu’elles se sont trouvées pourvues de mitraillettes, de véhicules blindés (souvent repris des stocks rapatriés de l’Irak)…, comme on l’a vu sur les photos dans la presse lors des premières manifestations à Ferguson.

Ces considérations nous interdisent de nous étonner des récentes émeutes. L’explosion n’était qu’une question de temps.

Mais il n’y a pas de fatalité en politique. Les progressistes et la droite libertarienne (ultralibérale) sont aujourd’hui d’accord pour condamner les excès de la police. Plusieurs commentateurs avaient déjà commencé à mettre en question l’inflexibilité des politiques pénales mises à la mode par Ronald Reagan.

De même, des méthodes policières agressives (comme la fameuse théorie de la « fenêtre cassée » selon laquelle il faut punir tout délit, aussi mineur soit-il, afin de faire comprendre aux malfaiteurs potentiels que la police veille) ont été critiquées pour leurs effets délétères sur les rapports entre la police et la communauté. Se peut-il que les esprits se ressaisissent, sous le choc des tristes événements de Ferguson ?

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