Le samedi 9 août marquera le 40e anniversaire de la démission du président Richard Nixon. Ce geste dramatique, unique à ce jour dans les annales américaines, survenait alors que Nixon était menacé de destitution à la suite de révélations voulant que son entourage et peut-être lui-même aient autorisé le cambriolage du siège national du Parti démocrate dans l’immeuble Watergate.
À part Conrad Black, peu d’auteurs ont abordé la carrière de ce politicien mal aimé. Pourtant, les années Nixon sont d’un grand intérêt pour quiconque s’intéresse à l’histoire et à la politique, et elles peuvent aussi apporter des enseignements valables pour aujourd’hui.
Les difficultés auxquelles sont confrontés les politiciens actuels ne sont pas sans présenter des similitudes avec celles qu’a connues Nixon : un Congrès aux mains de ses adversaires politiques, une guerre (celle du Vietnam) qui traîne en longueur et qu’on ne peut gagner, une grave détérioration de l’économie (inflation à deux chiffres, flambée du pétrole, stagnation), une suprématie menacée par des puissances politiques (URSS, Chine) ou économiques (Japon). Aussi faut-il saluer la publication par Antoine Coppolani d’une biographie politique particulièrement bien documentée du 37e président des États-Unis (Richard Nixon, Fayard, 2013).
De Nixon à Obama
Dans son livre, Coppolani note que Nixon voulait dépasser la partisanerie qu’il jugeait inefficace. Dès le début de sa présidence, il tente de former un gouvernement de coalition avec l’opposition démocrate. C’est ainsi qu’il inclut dans son équipe Daniel Moynihan, un démocrate déçu des excès du libéralisme. Quelques années plus tard, lors des élections de 1972, Nixon veut proposer un Parti républicain centriste avec l’aide de John Connally, un démocrate néoconservateur. Au vu de la paralysie chronique du Congrès, on se prend à regretter que cette approche de collaboration interpartisane n’ait pas fait école dans la classe politique américaine.
Alors que, en tant que représentant, sénateur et vice-président, il s’était fait le champion de la lutte contre le communisme, Nixon une fois président s’attacha à rétablir les ponts avec l’URSS et la Chine. Non pas qu’il vît le communisme d’un oeil plus favorable, mais parce que, praticien de la realpolitik, il voulait jouer de la rivalité entre les deux géants communistes. Aujourd’hui, la Chine et la Russie représentent encore des menaces à la suprématie américaine, mais pour d’autres raisons que la propagation du communisme. Toutefois, dans ce ménage à trois c’est plutôt la Chine qui semble maintenant le mieux en mesure de tirer les marrons du feu. Les relations entre les États-Unis et ses alliés canadiens et européens, d’une part, et la Russie, d’autre part, ont évolué dans une direction telle que cette dernière n’aura peut-être bientôt d’autres choix que de se tourner vers la Chine pour écouler son gaz et son pétrole.
Le cambriolage du Watergate avait eu pour précédent celui du cabinet du psychiatre de Daniel Elsberg, dans le but de trouver des renseignements susceptibles de discréditer ce dernier. Elsberg était à l’origine de la fuite des « documents du Pentagone » dans les pages du New York Times. Ce coulage avait embarrassé l’administration Nixon en révélant des informations sur les positions prises par le gouvernement américain dans le dossier du Vietnam. Il est facile de voir des analogies avec l’acharnement de l’administration Obama à l’endroit de Julian Assange ou d’Edward Snowden. Comme il y a 40 ans, la liberté d’information est difficile à supporter quand elle révèle que le roi est nu.
Dans l’esprit de Nixon, le président était au-dessus des lois quand l’intérêt national ou de grandes questions stratégiques étaient en jeu. Dans de telles circonstances, il trouvait légitime de déroger à la Constitution et de se passer des approbations du Congrès. À la suite de la déconfiture du Watergate, les pouvoirs du président ont été davantage contrôlés, ce qui peut expliquer une partie de l’incapacité actuelle du président Obama à mettre en oeuvre son programme politique. Aussi faut-il maintenant se tourner vers le Canada pour voir quelque chose qui ressemble à la présidence américaine du temps de Nixon. La méfiance de Stephen Harper envers la presse, le Parlement et la Cour suprême fait en effet penser à l’attitude et aux gestes de Nixon envers tout ce qui pouvait lui mettre des bâtons dans les roues. De même, le cambriolage du siège central du Parti démocrate dans l’immeuble Watergate alors même que la réélection de Nixon était assurée n’est pas sans faire penser aux appels robotisés du Parti conservateur canadien lors des élections de 2011.
Vers la réhabilitation ?
Les boomers de l’époque voyaient Nixon comme un fourbe, un cynique et un belliqueux. Sans occulter les côtés sombres du personnage, Coppolani le réhabilite largement en le dépeignant comme un homme d’État d’une compétence et d’une envergure que l’on n’a guère vues chez ses successeurs. Les dirigeants politiques actuels semblent avoir surtout en commun avec le président déchu la paranoïa, la propension au secret et l’obsession du contrôle.
Si Coppolani était économiste plutôt qu’historien, il aurait peut-être accordé plus d’importance à un geste de l’administration Nixon dont les conséquences sont apparues de plus en plus lourdes avec le passage du temps. Il s’agit de l’abandon en 1971 de la convertibilité du dollar américain en or au taux fixe de 35 $US l’once. Cette dépréciation de facto du dollar visait à rééquilibrer la balance commerciale des États-Unis qui était alors fortement déficitaire. La manoeuvre réussit assez bien, notamment au détriment de l’économie japonaise, dont la montée en puissance semblait alors aussi irrésistible que celle de la Chine aujourd’hui. Mais, surtout, elle est à l’origine de l’importance, démesurée et dangereuse selon plusieurs, qu’a prise la finance dans l’économie mondiale. C’est peut-être finalement l’héritage le plus toxique qu’a laissé Nixon.
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