‘Something Explosive Is Happening in Ferguson’

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« Il se produit quelque chose d’explosif à Ferguson »

Les scènes d’émeutes à Ferguson (Missouri), depuis le 9 août dernier, en rappellent beaucoup d’autres. Thomas Snegaroff, historien, est pourtant convaincu que ces violences ont une portée différente.

Les émeutes qui se déroulent chaque nuit à Ferguson, dans le Missouri, depuis que Michael Brown, un Noir de 18 ans, a été abattu en plein jour par un policier blanc, semblent s’inscrire dans une longue histoire de violence urbaine aux Etats-Unis.

Et pourtant, selon le spécialiste des Etats-Unis – et blogueur occasionnel sur Rue89 –, Thomas Snegaroff, les violences de Ferguson ont une portée différente de celles qui ont régulièrement embrasé les Etats-Unis par le passé.

Ces scènes d’émeutes en rappellent d’autres. Beaucoup d’autres. Comme à Watts, à Los Angeles, en 1965.

Là-bas aussi des panaches de fumée épaisse étouffaient les artères de la ville. Les policiers qui se dressaient devant les manifestants noirs étaient déjà blancs pour la plupart.

Ils ressemblaient déjà à de petits soldats urbains, alignés sur l’asphalte comme sur un véritable front. Ces émeutes-là aussi étaient nées d’une altercation entre la police et un jeune afro-américain.

Les images de l’époque sont moins nettes, en noir et blanc, mais témoignent de la même colère que celle des manifestants de 2014. Le visage du ressentiment n’a pas été altéré par les victoires du Mouvement pour les droits civiques.

Les mêmes images se répètent à Newark, dans le New Jersey deux ans plus tard seulement. Les forces de l’ordre ont été accusées, à tort cette fois, de s’en être pris violemment à un conducteur de taxi.

La mort de Martin Luther King en 1968 suscite des violences dans plus d’une centaine de villes. Chicago est dévasté. 162 bâtiments sont détruits. Là-bas aussi la garde nationale est envoyée en renfort. La décennie se clôt sur les mêmes scènes que celles qui l’ont ouverte.

« Ne pouvons-nous pas vivre ensemble ? »

Les années 90 sont aussi entachées de soulèvements particulièrement sanglants. Comme en 1991 à Crown Heights, un quartier de Brooklyn, où la mort d’un enfant afro-américain, renversé par un véhicule conduit par un rabbin, mène à quatre jours d’émeutes.

Un an après, les émeutes de Los Angeles en 1992 embrasent les quartiers pauvres de la ville. Elles seront particulièrement violentes, faisant 59 morts et quelques milliers de blessés.

Une bavure policière est encore à l’origine de l’escalade des tensions : quatre policiers accusés d’avoir battu Rodney King, un jeune Noir, sont acquittés en avril 1992.

Après cette décision de justice, 100 000 personnes se précipitent dans les rues de la ville californienne. Les rassemblements contre le racisme échappent au contrôle des autorités et l’armée est mobilisée après quatre jours de combats intenses.

A l’époque, Rodney King lance alors à la télévision « ne pouvons-nous pas vivre ensemble ? ». Les émeutes de Ferguson montrent que la question de Rodney King se pose encore.

« Beaucoup de Blancs ne font plus confiance à la justice »

Le soulèvement actuel qui agite le Missouri n’est-il que le nouvel épisode d’une longue histoire d’émeutes raciales ? Thomas Snegaroff, historien et spécialiste de la géopolitique américaine, est convaincu que les violences de Ferguson ont une portée différente de celles qui ont régulièrement embrasé les Etats-Unis par le passé :

« Beaucoup de Blancs ne font plus confiance à la justice pour condamner les bavures policières dans ce genre de situation, et ça c’est assez nouveau. »

Une étude publiée mardi par le Pew Research Center aux Etats-Unis montre que 44% des Blancs ayant répondu au sondage estiment que la mort de Michael Brown « suscite des questions importantes liées à la race », sensiblement plus que lors de l’affaire Trayvon Martin il y a seulement deux ans.

La fracture entre la vision des Blancs et les Noirs face aux inégalités demeure extrêmement visible, mais elle régresse.

Un autre sondage publié par le Huffington Post américain souligne aussi cette tendance, puisqu’il montre que 47% des Blancs sondés reconnaissent que la police est plus sévère avec les Noirs.

« Rand Paul se réapproprie la lutte des Noirs »

Thomas Snegaroff met en avant une autre rupture par rapport aux crises précédentes qui, pour lui, est fondamentale :

« Des grandes figures du parti républicain, comme Rand Paul, sont incroyablement émus et touchés par la situation des jeunes Noirs. »

Les propos du libertarien, publiés par le magazine américain Time le 14 août, ont fait des vagues. Rand Paul lâche, entre autres :

« Quiconque pensant que la race ne fausse pas l’application de la justice dans ce pays, même involontairement, ne s’intéresse pas assez à ce qui se passe. »

Un changement de cap extrêmement important, selon Thomas Snegaroff :

« Rand Paul se réapproprie la lutte des Noirs pour dénoncer un gouvernement omniprésent qui prive une population importante de sa liberté. »

Pour l’homme politique américain, les émeutes actuelles ne sont qu’un symptôme d’une militarisation accrue de la police, et donc d’une main mise de l’état sur la vie des citoyens américains.

L’historien évoque de nouvelles luttes communes qui pourraient tout changer :

« On observe la convergence entre les revendications des groupes de protection des droits civiques et de ceux qui critiquent l’Etat. »

Ce qui, pour Thomas Snegaroff, est une rupture nette avec le passé :

« Dans les grandes crises précédentes, la droite était du côté de l’ordre, et n’a jamais franchi le pas de l’accuser d’être contre la liberté d’un homme. »

Or, ceux qui s’opposent au poids du gouvernement progressent dans l’opinion publique, et pourraient pousser plus de Blancs à considérer différemment les revendications de leurs concitoyens Noirs. Thomas Snegaroff est catégorique :

« Il se produit quelque chose d’assez explosif à Ferguson. »

De quoi peut-être remettre certains sujets sur la table avant la primaire de la présidentielle de 2016 où Rand Paul compte bien gagner l’investiture du Grand Old Party.

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