ACQUISITION DE TIM HORTON’S
L’inversion maudite
La compagnie américaine Burger King, dont l’actionnaire majoritaire est un fonds d’investissement brésilien, vient de faire l’acquisition de l’entreprise canadienne Tim Horton’s avec le soutien financier de l’homme d’affaires américain Warren Buffett. Pourquoi cette insistance sur les nationalités en présence ? Parce qu’elle met en lumière une plaie ayant l’inversion fiscale pour nom.
D’accord, en achetant une société qui propose des produits alimentaires différents des siens, Burger King entend imiter le succès de Yum Brands, qui est propriétaire d’enseignes différentes dans l’univers de la restauration rapide. D’accord, Tim Horton’s devrait bénéficier de l’effet de levier afférent à la géographie du réseau de Burger King. D’accord, cette union devrait permettre à Burger King de mieux résister aux assauts de In-N-Out Burgers, Five Guys et Shake Shack lorsque ceux-ci seront inscrits à la Bourse. Mais bon… Assurer que cette acquisition n’a pas été menée à des fins d’inversion fiscale, c’est vraiment prendre la grande majorité des citoyens pour un vaste contingent de crédules. Déclinons.
Aux États-Unis, les protocoles fiscaux concoctés par les autorités stipulent que les bénéfices enregistrés par une compagnie à l’étranger sont assujettis à l’impôt lorsqu’ils sont rapatriés aux États-Unis. Et, comme la haine de l’État est ces temps-ci plus prononcée que jamais, les sociétés américaines ont « planqué » des revenus totalisant, avance-t-on au Trésor américain, les 2000 milliards de dollars. De manière ponctuelle, ces sociétés puisent dans cette masse d’espèces fiscalement trébuchantes pour acheter des entreprises… étrangères ! Plus exactement, des entreprises situées dans des pays où l’impôt est le miroir du mépris que cultive tel ou tel pays pour celui-ci. On pense évidemment et surtout à l’Irlande, où le taux en question est de 12,5 %. Et dire que ce pays, autrefois le plus pauvre de l’Europe, doit aux subventions de cette dernière la mise à niveau de son économie aux standards européens.
Toujours est-il qu’en déménageant le siège social de Burger King en Ontario et en fusionnant celui-ci avec Tim Horton’s, la nouvelle entité sera imposée à 26 % au lieu des 35 % qui ont cours aux États-Unis. On relèvera au passage que l’hypothèse la plus logique, pour ce qui a trait à la circulation des capitaux monopolisés par cette transaction, est la suivante : ils étaient en dehors des États-Unis. Quoi d’autre ? Buffett étant le fondateur et le patron du fonds d’investissement Berkshire Hathaway, les dividendes qu’il percevra seront imposés à 35 % et… Buffet a consolidé cette variable dans le total. Bref, il a négocié et obtenu un ajustement.
L’accord signé entre les deux compagnies confirme, avec éclat comme d’ailleurs avec brutalité, que l’inversion fiscale est devenue cette année un phénomène aux retombées sociales, économiques et politiques énormes. Si énormes, en fait, que bien malin qui pourrait en détailler d’ores et déjà tous les vices. Si on se fie aux cas enregistrés jusqu’à présent, soit une cinquantaine en tout, ce qui est gigantesque quand on songe qu’il s’agit de multinationales, l’hémorragie fiscale a atteint les 20 milliards de dollars. Selon certaines projections, il faut s’attendre à ce que 20 autres milliards échappent au Trésor américain.
Inquiet par l’ampleur qu’a prise depuis 2009 cette course à l’échalote fiscale, Barack Obama a eu ces mots : « Ça m’est égal que ce soit légal. C’est mal. » C’est mal et c’est d’une violence sociale inouïe.
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