6 Years Later, There Are Still Lessons To Learn!

 

 

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Six ans après, il y a encore des leçons à tirer!

Henry Paulson, farouche apôtre du libre marché, est devenu le secrétaire au Trésor le plus interventionniste de l’histoire de son pays.

Lundi marquera le sixième anniversaire de la faillite de la banque américaine Lehman Brothers. Une banqueroute qui a ébranlé les fondements du système financier international et qui a été le déclencheur de la pire crise économique depuis la Grande Dépression de 1929. Une crise qui eut aussi des répercussions titanesques, notamment sur la situation financière de nombreux gouvernements, à commencer par celui des États-Unis. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet épisode singulier de notre histoire économique récente, dont trois que l’on juge incontournables.

Marché autorégulateur

En premier lieu vient la capacité du marché à s’autoréguler. Depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980, on a assisté dans l’ensemble des pays industrialisés à un important renversement de paradigme qui s’inscrivait dans la foulée de la révolution néolibérale. Cette révolution, instaurée d’abord en Grande-Bretagne par Margaret Thatcher et poursuivie ensuite aux États-Unis par Ronald Reagan, proposait une vision où la primauté du marché était devenue incontestée et où le retrait de l’État de la sphère économique était jugé indispensable à la bonne marche de la machine économique et au redressement des finances publiques. Concrètement, cela s’est traduit par une vague de privatisations, de réformes de programmes sociaux, mais surtout par des déréglementations diverses, notamment dans le secteur financier.

Or, la crise de 2008 a démontré plus que jamais que le marché autorégulateur, en particulier dans la sphère financière, était un pur mythe. Sans l’encadrement des pouvoirs publics, il est capable des pires dérapages, pouvant même devenir une menace pour la stabilité, voire la viabilité, du système économique. C’est pour cette raison que dans les dernières années, les États se sont tous engagés, notamment dans le cadre des accords de « Bâle III », à renforcer la réglementation du secteur bancaire afin de mieux encadrer ses activités et pour éviter une répétition du scénario noir de 2008.

«Too big to fail»

Il s’est développé dans les deux dernières décennies une sorte de croyance accolée directement sur le phénomène de globalisation. Ainsi, dans un marché décloisonné et un système financier de plus en plus interconnecté et interdépendant, un gros joueur est protégé de facto, car il représente un risque systémique. Autrement dit, les pouvoirs publics allaient courir à son secours au moindre faux pas, car il devient une menace pour l’ensemble du système.

Et c’est ce que Dick Fuld, président de Lehman Brothers, avait exactement cru jusqu’à la toute fin : il était convaincu que le gouvernement américain (et Henry Paulson, secrétaire au Trésor à l’époque) allait trouver — et financer — un acheteur pour sa compagnie. Dans son esprit, si on avait ouvert les valves du Trésor public pour organiser le sauvetage de petits joueurs comme la banque Bear Stearns, pourquoi en serait-il autrement dans son cas ? D’autant plus qu’une semaine seulement avant que Lehman Brothers dépose son bilan et se mette sous la protection du chapitre xi de la loi américaine sur les faillites, Paulson venait de nationaliser carrément les deux grands joueurs du marché immobilier américain et responsables de la garantie de prêts hypothécaires, Fannie Mae et Freddie Mac.

Or, l’histoire ne s’est pas passée comme le souhaitait Dick Fuld, car Paulson voulait éviter à tout prix l’aléa moral [moral hazard en anglais]. Il tenait fermement à envoyer un message clair au marché : le gouvernement ne sera pas là pour réparer les pots cassés chaque fois qu’un joueur « irresponsable » s’enfarge. Pour lui, l’irresponsabilité, ça se paye et elle fait partie des règles du jeu, les règles du marché.

Politique appliquée 101

Enfin, le grand et célèbre économiste John Maynard Keynes avait affirmé : « La difficulté [pour un décideur] n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes. » Ça s’appelle tout simplement le pragmatisme et c’est le troisième et dernier enseignement à tirer de la faillite de Lehman Brothers.

En effet, longtemps on a cru que la décision politique devait être parfaitement fidèle à la ligne idéologique du décideur, une sorte de superposition entre l’action et les idées. Or, la conduite des affaires publiques est loin d’être aussi simple et aussi linéaire. Et une des exigences fondamentales de la gouverne est justement la capacité du décideur à s’adapter au contexte et à l’environnement dans lesquels il prend ses décisions, y compris les ressources à sa disposition et les contraintes auxquelles il doit faire face. Cela suppose qu’il puisse parfois dévier de sa trajectoire idéologique coutumière (et très confortable) afin de pouvoir prendre la décision optimale possible dans l’intérêt de ses citoyens.

Une posture que plusieurs décideurs politiques dans l’histoire avaient accepté d’adopter et que Paulson avait favorisée à son tour, tout de suite après l’onde de choc créée par la faillite de Lehman Brothers sur les marchés : en se portant d’abord au secours d’AIG (American International Group) à hauteur de quelque 180 milliards de dollars, et en annonçant, par la suite, le fameux 700 milliards de dollars pour renflouer le système bancaire.

Du coup, Henry Paulson, cet ancien président de Goldman Sachs, farouche défenseur du libre marché et de la non-ingérence de l’État dans l’économie, était probablement devenu le secrétaire au Trésor le plus interventionniste de l’histoire de son pays. De quoi faire se retourner (de joie) Keynes dans sa tombe !

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