Islamic State: Obama Can Win Battles, but the War Will Last Years

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État islamique : Obama peut remporter des batailles, mais la guerre durera des années

Par Jean-Claude Allard

Directeur de recherche à l’IRIS

LE PLUS. Barack Obama a présenté ce mercredi sa stratégie contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie : pas d’Américains au combat, mais des frappes aériennes systématiques. Une manoeuvre qu’analyse Jean-Claude Allard, spécialiste des politiques de défense et sécurité, à l’aune de l’actuelle position des États-Unis face à la Russie. Pour lui, la partie est loin d’être gagnée.

Édité et parrainé par Hélène Decommer

Barack Obama présente sa stratégie face à l’État islamique, le 10/09/14 à Washington (Saul LOEB/AFP)

Le 28 mai 2014, à la cérémonie du Commencement de l’Académie militaire de West Point, le président Obama prononçait un discours capital expliquant sa stratégie pour imposer la volonté américaine : “The question […] is not whether America will lead, but how we will lead”.

Il s’agit pour lui de distinguer les intérêts vitaux pour la défense desquels la force militaire sera utilisée sans restriction, des intérêts d’ordre général qui ne poseraient pas une menace directe pour le pays mais gêneraient son leadership.

L’énoncé de sa stratégie contre l’État islamique reste bien dans cette ligne, reste à savoir si les conditions sont remplies pour qu’elle soit aussi victorieuse qu’en Ukraine.

La Russie convenait parfaitement à la nouvelle stratégie américaine

L’Ukraine se prêtait parfaitement à terrasser la Russie, désignée comme l’un des ennemis futurs : “Three different baskets of risks could conspire to increase the chances of an outbreak of interstate conflict : changing calculations of key players – particularly China, India, and Russia” [1].

Les réseaux d’intérêts tissés par la puissance économique et financière chinoise et sa discrétion dans les relations internationales la protège. Avec l’Inde, risque plus lointain, les États-Unis favorisent, pour l’instant, l’accroissement des dépendances économiques croisées.

Reste la Russie, qui cherche activement à échapper à l’emprise des États-Unis : opposition critique à la politique américaine (Proche-Orient, Libye…), tentative d’organisation d’un monde multilatéral politique, économique et financier (animation des sommets des BRICS, création d’une banque mondiale, abandon du dollar comme monnaie d’échange, système national de paiement…). S’y ajoute la progression des liens économiques avec l’Europe occidentale qui risquait de faire de cette vaste entité un redoutable concurrent économique.

Les caractéristiques économiques de la Russie, perturbateur potentiel à éliminer, convenait parfaitement à la mise en œuvre de la nouvelle stratégie, par le biais de la crise ukrainienne.

En Ukraine, Poutine a gagné une bataille, mais il a perdu la guerre

L’Ukraine est un sujet certes complexe, mais qui peut cependant pour le stratège, après une analyse détaillée, se caractériser par trois points-clés : la mauvaise gouvernance, l’antagonisme sociologique et la géographie.

Géographiquement, l’Ukraine est la “porte” de la Russie vers le grand large : elle sert de passage à un gazoduc russe vers l’Europe et elle lui louait la jouissance du seul port de qualité sur les mers chaudes dont pouvait bénéficier la Russie. Il était donc clair que là se trouvait le “centre de gravité” de la Russie.

La mauvaise gouvernance et le clivage sociologique, s’alimentant l’un l’autre, ont conduit ce pays au bord du statut d’État failli qu’il suffisait de laisser aller à ses dérives : gouvernement refusant de reconnaître les aspirations d’une large partie de sa population, dénonciation du contrat de location du port de Sébastopol, abandon du monopole de l’emploi de la force à des milices, avec pour conséquences des dérives dans la répression.

La Russie a été attirée dans le piège, non sans mal d’ailleurs, mais la fin justifiait les moyens. En mai déjà, Obama pouvait se féliciter : “Our ability to shape world opinion helped isolate Russia right away” [2]. En septembre 2014, la Russie, en forçant le président Porotchenko à un accord, semblait remporter une victoire tactique mais la victoire stratégique revenait aux États-Unis : une barrière économique, financière et technologique a été dressée autour de la Russie par une Europe, qui s’est sacrifiée sans murmure, l’OTAN est revigorée et “sur la main” [3].

L’alliance du Heartland et du Rimland a été évitée. L’image et l’ambition russe de devenir une puissance économique et politique sont durablement compromises.

Contre l’État islamique, peut-on gagner la guerre ?

Dans son exposé du 10 septembre 2014, le président Obama souligne bien qu’il ne changera pas de stratégie : “To use force against anyone who threatens America’s core interests, but to mobilize partners wherever possible to address broader challenges to international order”, mais la lutte aura une autre intensité pour plusieurs raisons.

Comme il y a les guerres asymétriques, il y a désormais des stratégies “asymétriques” c’est-à-dire qui, ne répondant à aucune règle, sont parfaitement insaisissables. Si les Américains savaient comment faire réagir Poutine, ils ne savent pas comment manipuler des hommes dont l’univers mental n’a aucune connexion avec le leur.

La coalition ne sera jamais aussi disciplinée que la coalition européenne qu’ils avaient réunie. La montée en puissance de l’État islamique est le résultat de calculs précédents hasardeux, chacun le sait dans la région et aucun ne veut aujourd’hui aller contre ce qu’il a favorisé hier.

Cela d’autant plus que, pour de grands pans d’opinions publiques dans de nombreux pays, l’État islamique, ou tout au moins son projet de califat, ne soulève pas une franche réprobation.

Cette guerre risque de se développer ailleurs

Dans sa version militaire, la stratégie est celle utilisée il y a 13 ans en Afghanistan : les anti-Talibans combattaient au sol, avec à leurs côtés des forces spéciales pour le renseignement, l’aide à la planification et le ciblage des frappes aériennes. Cette combinaison a permis la prise de Kaboul en quelques mois.

Ici, si les frappes aériennes ne posent aucun problème insurmontable, l’attelage sur le terrain est des plus hétéroclite : au sud un rapprochement sunnite-chiite qui, sans l’onction iranienne, tendra à éclater au premier coup dur ; à l’est des Kurdes qui visent la défense de leur pays en vue de l’indépendance et n’iront pas au-delà des territoires convoités ; au nord, une improbable opposition syrienne libre, totalement perméable à toutes les influences et des rangs de laquelle sont issues les brigades de l’État islamique.

Des batailles seront remportées, mais la guerre durera des années, et surtout, elle se développera ailleurs. De l’Atlantique au Pacifique, l’islamisme a réussi en quelques années à mettre en application, de façon spontanée, la théorie du “foco” [4], en améliorant le principe : ne pas entrer en conflit direct avec un État, mais s’implanter là où l’État est défaillant ou réellement failli.

Une bonne stratégie devra aussi rapidement se saisir de la question dans son ensemble, comprendre les mécanismes de cette stratégie asymétrique, identifier les prochaines victimes et protéger les États qui peuvent encore servir de rempart.

Elle devra aussi tirer des enseignements des échecs passés. Sur ce point, la lecture de la déclaration des chefs d’État après le sommet de l’Otan n’est pas des plus convaincantes.

[1] National Intelligence Council, Global Trends 2030: Alternative World, décembre 2012, p.viii

[2] Discours à West Point

[3] Expression de l’art équestre signifiant que le cheval est attentif aux ordres que son cavalier lui transmet par le moyen des rênes.

[4] Vision stratégique de Che Guevara voulant créer “un, deux, plusieurs Vietnam…” pour lutter contre les États-Unis.

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