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L’adhésion des monarchies arabes à l’offensive américaine contre le groupe État islamique (EI) tient le coup, mais ne tient qu’à un fil. Si la néoguerre contre le terrorisme dans laquelle s’embarque Barack Obama se justifie dans l’immédiat, il reste que lui aussi s’est lancé à son corps défendant. Salutaire indétermination.

Il est clair qu’auprès des opinions occidentales, la participation arabe — et sunnite — aux opérations armées contre l’EI en Syrie et en Irak vient utilement légitimer la stratégie de Barack Obama. Que cette monarchie ultraconservatrice qu’est l’Arabie saoudite ait participé aux raids aériens contre l’organisation est surprenant. Quoiqu’avec bémol. Aux côtés de la Jordanie, Riyad et les trois autres pays du Golfe qui se sont joints à l’effort de guerre — Qatar, Émirats arabes unis et Bahreïn — sont déjà bien intégrés à la machine militaire américaine. Si l’objectif est avant tout de couper ses ailes à l’EI, dont il mérite d’être noté que son obscurantisme religieux n’est après tout pas très différent de celui de Riyad, il est certainement aussi de contenir l’influence de l’Iran chiite dans la région.

Cette légitimation étant, les pays arabes qui font partie de la coalition d’une quarantaine de pays bricolée à la hâte trahissent des réticences manifestes. Face aux Américains, puisque la méfiance demeure profonde à leur égard au Moyen-Orient. Entre eux parce que leurs intérêts et allégeances croisées les obligent à agir avec circonspection. La Libye en présente un exemple, où le Qatar et les Émirats arabes unis se livrent une guerre par procuration, le premier soutenant une faction rebelle radicale, l’autre, un groupe plus modéré. Dynamique similaire en Syrie.

L’hésitante Turquie, maillon central de la stratégie des États-Unis, essayait de son côté mercredi de chasser l’ambiguïté quant à son engagement, alors qu’une marée humaine de plusieurs dizaines de milliers de civils kurdes a fui la Syrie depuis une semaine. Situation compliquée pour la Turquie puisque se joindre à l’effort de guerre revient concrètement à soutenir la cause autonomiste kurde honnie à Ankara, dans un contexte où les Kurdes sont un rempart capital contre l’EI en Irak.

Washington n’est pas non plus dans la position la plus limpide en Irak, où une puissante milice chiite soutenue par l’Iran et opérant autour de Bagdad — milice qui hier tuait des soldats américains — est aujourd’hui devenue le fer de lance de la bataille contre l’EI sunnite, et donc l’allié objectif des États-Unis.

Comme en Syrie d’ailleurs. Il n’y a guère plus satisfait dans le moment de la tournure des événements que le président syrien, Bachar al-Assad. Voici que les États-Unis, qui s’étaient juré de renverser le régime syrien, s’interposent maintenant pour le débarrasser de l’un de ses ennemis les plus dangereux…

Beaucoup de bruit autour d’une organisation violente et fanatique, dotée d’une formidable capacité de nuisance, mais qui compterait tout au plus 30 000 combattants. L’EI ne demande pas mieux. Les bombes occidentales motivent son intégrisme. Qu’on le dépèce militairement et il réapparaîtra sous une autre forme.

Ce phénomène qu’est l’EI interpelle les dictatures arabes au premier chef. Et si cette bataille contribuait par incidence inespérée à faire en sorte que ces dictatures se délitent et que ces sociétés se libéralisent ? On peut toujours rêver. Le monde arabe ne surmontera pas ses conflits à tant cultiver l’injustice sociale.

Nous apprécions donc que M. Obama ne soit pas George W. Bush. On apprécie qu’il ait hésité — par considération électorale, certes, mais pas seulement, voulons-nous croire. Rattrapé par des dynamiques historiques, il aura quand même fait des efforts de dialogue pendant sa présidence, aura pris acte de la multipolarité du monde. En sortirons-nous jamais, de la culture militariste américaine ? En l’occurrence, son indécision n’était pas de la faiblesse, quoi qu’en disent les faucons républicains.

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