Obama, Version Bush Senior?

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Obama version Bush père ?

Au concours de beauté des présidents américains, section politique étrangère, Barack Obama est mal parti. Le Prix Nobel de la paix 2009 est pauvrement noté par ses concitoyens – et pas beaucoup mieux à l’extérieur de son pays. Est-ce justifié ? Sans doute pas.

Celui de ses prédécesseurs auxquels il est le plus volontiers comparé, le démocrate Jimmy Carter (1976-1980), passe pour avoir été une catastrophe. Ce pieux baptiste de Géorgie, cultivant une mise simple et modeste, est accusé d’avoir abaissé le statut des Etats-Unis sur la scène internationale. Il aurait incarné une sorte de mollesse dépressive dont auraient ignoblement profité les ennemis de l’Amérique, de l’Union soviétique à l’Iran de la révolution islamique.

Il a fallu élire un flamboyant ex-gouverneur de Californie, passé par Hollywood, le républicain Ronald Reagan (1980-1988), pour rétablir l’image que l’Amérique aime avoir d’elle-même : la lumière qui brille sur la colline – une « exception » parmi les nations.

Avant qu’il ne lance sa campagne de bombardements contre le groupe djihadiste dit « Etat islamique » (EI), la critique la plus sévère adressée à Obama tenait en une expression : le président est en voie de « cartérisation avancée ». Dans les sondages, une majorité d’Américains lui reproche d’avoir donné l’impression d’une Amérique attentiste et impuissante face aux périls de l’heure : montée en force d’une Russie revancharde et impérialisme régional d’une Chine désireuse d’assurer sa domination en Asie du Sud-Est.

Mais la comparaison avec Jimmy Carter tombe à plat, pour une bonne raison : le 39e président des Etats-Unis a laissé un solide bilan en politique étrangère. Sans sa médiation assidue, Israël et l’Egypte – de l’aveu même du premier ministre Menahem Begin et du président Anouar El-Sadate – n’auraient jamais conclu ce monument de sagesse stratégique qu’est le traité de paix égypto-israélien de 1979. Ce n’est pas rien, juste la fin des grandes guerres entre Israël et les Etats voisins…

Les Américains, qui adorent réhabiliter ce qu’ils ont brûlé, enterreront un jour Jimmy Carter comme un grand président. Après tout, ils ont sanctifié le républicain Richard Nixon, le jour de sa mort, le 22 avril 1994, celui-là même qui, s’il a été un président majeur en politique étrangère, a été chassé de la Maison Blanche, en 1974, à mi-mandat, pour comportement politique relevant du droit commun.

Ceux qui accusent Obama de « cartérisation » sont en général ceux qui vantent son contraire, Reagan, charmeur aux larges épaules et aux costumes de prince. Le Californien (d’adoption) a su, lui, sourire rayonnant d’optimisme, projeter une image de force et de confiance. Il n’est pas sûr qu’il faille lui attribuer la chute du mur de Berlin du seul fait qu’il l’ait appelée de ses voeux, mais enfin, il y a sans doute contribué, substantiellement aidé, il est vrai, par un certain Mikhaïl Gorbatchev.

IL AGIT AVEC PRUDENCE

Mais « qui a eu la tâche la plus ardue, Reagan ou Obama ? », interroge le journaliste Thomas Friedman dans le New York Times. Le républicain était un homme de la guerre froide. Ce conflit entre les Etats-Unis et l’URSS représentait une forme d’ordre mondial – une époque bipolaire. Le démocrate de ce début de XXIe siècle est un homme du chaos mondial – une ère a-polaire. Obama est l’homme d’un monde où coexistent de multiples pôles de puissance, anciens et nouveaux, qui n’ont encore fixé aucune règle du jeu et que viennent perturber nombre d’acteurs non étatiques (type EI). « A bien des égards, Reagan a eu affaire à un environnement plus facile que celui d’Obama aujourd’hui », conclut Friedman.

Ce qui a façonné la politique étrangère du président, c’est celle de son prédécesseur immédiat, le républicain George W. Bush. Tous les réflexes d’Obama s’inscrivent en contre de l’héritage de « W ». Cela va de la volonté de sortir les Etats-Unis de deux théâtres de guerre, l’Afghanistan et l’Irak, à cette conviction qu’il y a des limites à ce que la machine militaire américaine peut accomplir – particulièrement dans des conflits aussi complexes que ceux du Moyen-Orient. Sur la base de ces quinze dernières années, qui peut dire le contraire ?

Guerrier réticent, Obama vit un moment-clé de sa présidence : il part en guerre. Pis, il y va dans cette région maudite, dont il voulait désengager les Etats-Unis. Pire encore, il s’est assigné un objectif trop ambitieux pour être réalisable depuis le cockpit d’un chasseur : en finir avec l’EI supposerait sans doute une intervention au sol et la reconstruction de deux Etats en ruine, l’Irak et la Syrie.

Mais il peut affaiblir l’EI, en contenir l’extension et, ce faisant, limiter l’ampleur des massacres en cours et le nombre des malheureux condamnés à l’exil. Il agit avec prudence, en annonçant une opération de longue haleine. Plus important, il implique les pays arabes dans cette campagne aérienne, ce qui n’est pas un mince succès diplomatique. L’Amérique – particulièrement « W » – a peut-être beaucoup à se faire pardonner dans la région. Mais le président est convaincu, à juste titre, que l’avenir du monde arabe est d’abord l’affaire des Arabes.

En tout cela, si Obama fait penser à l’un de ses prédécesseurs, c’est plutôt à George Bush père (1988-1992), qui accompagna avec un tact certain la phase difficile de la décomposition finale de l’URSS. Comparaison qui est presqu’un compliment.

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