De la doctrine Bush à la doctrine Obama: le retour des guerres préventives
mercredi 24 septembre 2014 à 16h20
Au-delà du problème de la légalité des frappes en Syrie, les déclarations récentes de l’administration Obama semblent avoir remis au goût du jour la vieille doctrine de la “guerre préventive” proclamée par Georges W. Bush après le 11 septembre : c’est aussi l’un des enjeux de l’intervention menée aujourd’hui contre l’ “Etat islamique” par une nouvelle coalition.
Depuis quelques jours, une nouvelle guerre est au centre de l’actualité, celle visant à mettre fin aux activités des extrémistes criminels de l’ “Etat islamique”, qui contrôlent une partie de l’Irak et de la Syrie. La justesse d’une telle cause ne semble être contestée par personne, même si on peut légitimement se demander si la méthode employée (le déclenchement d’une campagne de frappes militaires associée avec l’envoi massif d’armes dans la région, au profit des alliés de Washington) ne peut, sur le long terme, entraîner plus d’inconvénients que d’avantages. Les exemples de l’Afghanistan, de la Libye, du Mali, … et avant tout de l’Irak lui-même, ne peuvent qu’interpeller face à ceux qui semblent partir en guerre la fleur au fusil, en pensant que le problème sera réglé en quelques semaines par la grâce d’une nouvelle campagne militaire.
Dans ce contexte, le droit international ne semble pas au centre des préoccupations des divers protagonistes de cette nouvelle pièce. Il est vrai que, au contraire de ce qu’on a pu observer en 2003 avec le déclenchement de la guerre du Golfe de Georges W. Bush, il ne s’agit pas d’attaquer un Etat, au sens juridique du terme, mais plutôt un groupe irrégulier et criminel. L’action militaire est d’ailleurs menée à la demande des autorités irakiennes, le Conseil de sécurité ayant quant à lui “pri[é] instamment la communauté internationale de renforcer et d’élargir, dans le respect du droit international, l’appui qu’elle fournit au Gouvernement iraquien dans sa lutte contre l’EIIL et les groupes armés qui lui sont associés” (déclaration du 19 septembre, S/PRST/2014/20). Quant à la Syrie, si elle n’a pas formellement donné son consentement, celui-ci pourrait sans doute être déduit de son comportement au moment du déclenchement des frappes. Averties peu avant par les Etats-Unis de l’imminence de celles-ci, non seulement les autorités de Damas n’ont pas protesté, mais elles ont encore déclaré soutenir “tout effort international” pour combattre les djihadistes de l’ “Etat islamique” (AFP, 23 septembre). A l’heure où ces lignes sont écrites, la Syrie n’a toujours pas émis de protestation. Même si une ambiguïté subsiste à cet égard, on pourrait donc considérer que cette guerre n’est pas incompatible avec le respect de la souveraineté des Etats de la région, et est menée, si pas avec l’autorisation, en tout cas sous l’égide du Conseil de sécurité. En ce sens, le Secrétaire général de l’ONU s’est récemment réjoui de la ” solidarité internationale pour faire face à ce défi ” (déclaration du 23 septembre).
Mais, précisément, le problème est que les plus hautes autorités des Etats-Unis se sont bien gardées de se prévaloir de l’argument du consentement (implicite) de l’Etat syrien. Depuis plusieurs jours, elles ont au contraire affirmé leur pouvoir d’agir le cas échéant à l’encontre de la volonté de Damas. Dans son discours du 10 septembre dernier, Barack Obama déclarait de manière très générale que “nous pourchasseront les terroristes qui menacent notre pays où qu’ils se trouvent”, une formule qui rappelle à la fois celle utilisée par Georges W. Bush après le 11 septembre et par Vladimir Poutine qui, peu après son arrivée à la présidence, affirmait qu’il fallait “buter les terroristes jusque dans les chiottes”. De manière plus précise, les Etats-Unis ont envoyé une lettre au Conseil de sécurité le 23 septembre, jour du déclenchement des frappes, en se prévalant de la légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Selon ce texte, l’Etat islamique et les “autres groupes terroristes en Syrie” ne constituent “pas seulement une menace pour l’Irak, mais aussi pour beaucoup d’autres pays, y compris les Etats-Unis et certains de nos alliés dans la région et au-delà”. Cette menace justifierait des frappes en Syrie, en raison du fait que ce pays serait “peu soucieux ou incapable” —”unwilling or unable”— de mettre fin à la menace (S/2014/695). Une telle position ne reflète bien évidemment pas le droit international, qui prescrit en cas de menace qui trouve sa source dans un Etat qui ne contrôle pas l’entièreté de son territoire, soit de demander l’autorisation du gouvernement de cet Etat, soit de se placer sous l’autorité du Conseil de sécurité. Alors qu’elle aurait pu suivre, avec des chances réelles de succès, l’une au moins de ces deux voies, l’administration Obama a opté pour un discours radical et belliciste, qui lui ouvre une faculté très large d’intervenir dans n’importe quel pays du monde sans même chercher à s’inscrire dans le cadre de l’ONU. On retrouve ici la notion de “guerre préventive” entendue dans un sens très large, doctrine qui a été condamnée de manière répétée par une écrasante majorité des Etats, notamment à l’occasion de la guerre déclenchée contre l’Irak en 2003, guerre dont les événements actuels ne constituent d’ailleurs que le prolongement. Une telle rhétorique avait initialement suscité une vive opposition de Barack Obama, qui avait insisté sur la nécessité de replacer les Etats-Unis dans une optique multilatérale davantage respectueuse du droit international. Il semble que ces déclarations d’intention aient aujourd’hui fait long feu. Au vu de la position officielle qu’il a choisi d’adopter, le président Obama semble au contraire avoir repris à son compte la doctrine de la guerre préventive, … avec toutes les conséquences potentielles pour les autres Etats de la société internationale.
Olivier Corten
Centre de droit international ULB
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