Au dire de la plupart des experts, la crise qui déchire l’Irak et la Syrie ne saurait être maîtrisée à coup de simples frappes aériennes : tôt ou tard des forces armées devront intervenir sur le terrain. On cite la Libye, que les bombardements de l’OTAN ont laissée dans le chaos. Pourtant, des milliers de soldats occidentaux ont combattu en Afghanistan et en Irak sans réussir à y faire prévaloir un minimum d’ordre, de paix et de sécurité.
Des soldats recrutés en Irak, aidés de conseillers venus de Washington, de Paris ou d’Ottawa, et défendant leur communauté, n’y parviendraient-ils pas mieux que ces soldats occidentaux qu’on ne veut plus exposer aux embuscades, aux voitures piégées ou aux kamikazes ? Dilemme : il faudrait leur fournir des armes lourdes, comme les États-Unis en avaient équipé l’armée irakienne, et qui sont tombées aux mains des extrémistes du groupe État islamique.
Autres problèmes : l’Irak ne peut lever plus de troupes parmi sa majorité chiite sans pousser d’autres sunnites du côté des djihadistes. De même, les États-Unis et leurs alliés ne peuvent armer les Kurdes sans contribuer à l’émergence d’un Kurdistan indépendant. Cet État signifierait pour l’Irak une perte de territoire et de ressource. Et pour la Turquie, un voisin à peine moins préoccupant qu’un califat d’extrémistes. Sans compter la Syrie de Bachar al-Assad !
Même les pays qui étaient résolus à ne plus se mêler des conflits de cette région sont aujourd’hui contraints par leur opinion publique de stopper un groupe de fanatiques qui massacrent des gens, tranchent la tête d’otages occidentaux, et promettent de frapper partout sur la planète. Mais aucun gouvernement ne sait trop comment faire face à une telle menace. Et la guerre, trop souvent déployée dans la région, risquerait, dit-on, d’aggraver la situation.
Certains reprochent au président Obama, qui n’a rien vu venir, de retourner en Irak sans stratégie ni solution. D’autres accusent David Cameron, le premier ministre britannique, de le suivre dans l’aventure, comme si une autre guerre n’allait pas causer encore plus de destruction et de misère à des populations déjà accablées. Et au Canada, l’opposition s’en prend à la « guerre de Stephen Harper » alors que le premier ministre, qui y voit le défi d’une « génération », s’en tient à un engagement « d’au plus six mois ».
À vrai dire, même des gouvernements stables et libres d’échéances électorales auraient peine à trouver un plan d’action et des moyens qui soient de taille à désamorcer ces crises, souvent liées entre elles et qui perdurent au Proche et au Moyen-Orient. La culture internationale d’un Barack Obama n’a pas réussi à conférer succès et prestige à sa présidence. Il aurait donc été surprenant qu’un Stephen Harper puisse ouvrir la voie au Canada.
Pourtant, cette myopie ne tient pas qu’au cabinet conservateur. Libéraux et néodémocrates en sont encore à proposer des secours humanitaires ou des classes de gouvernance pour les dirigeants du tiers-monde. Les uns et les autres sont victimes de cette arrogance qui permettait autrefois à Londres et Paris de tailler des pays artificiels à même l’Empire ottoman, et aux nations libres d’aujourd’hui, d’y implanter leur démocratie à coups de bombes.
Robert R. Fowler fut conseiller de plusieurs premiers ministres au Canada et ambassadeur en Afrique et aux Nations unies. Il signait samedi dans le Globe and Mail une analyse percutante des failles culturelles des pays démocratiques en politique étrangère. Tenant leurs propres valeurs pour universelles, leurs gouvernements auront semé une haine durable à l’égard du monde occidental. Leurs interventions auront aussi laissé des catastrophes pour l’humanité et des désastres géopolitiques.
Conclusion : la propagande sanglante des djihadistes serait une provocation délibérée. Elle viserait à déstabiliser les capitales occidentales, plus réticentes à envoyer leurs enfants au combat et préférant tuer des innocents en recourant aux bombardements. De la sorte, ils s’embourberaient encore plus, justifiant la révolte contre eux et contre les régimes qui les appuient, et incitant de plus en plus de jeunes à rejoindre les rangs de la « guerre sainte ».
Rejetant la théorie du « choc des civilisations », le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du pape François, abordait le 29 septembre aux Nations unies les événements dramatiques du Moyen-Orient et la place primordiale prise par les facteurs culturels. Il souligne alors l’importance du dialogue qui existe déjà entre les cultures, les religions, les communautés ethniques. Contre le terrorisme international, il estime néanmoins que les nations devront combiner leurs forces pour assurer la défense des citoyens désarmés.
Les États n’ont pas à dicter la vérité en matières religieuses, bien qu’ils puissent favoriser le dialogue, l’appréciation des cultures et la coopération, tout « en respectant les sensibilités ». Mais surtout, ils n’ont pas à imposer rigidement des « modèles politiques » qui accordent « une moindre valeur aux différentes sensibilités des peuples ». Allant plus loin, le représentant du Saint-Siège souhaite que le droit international protège aussi les peuples contre un système financier gouverné par la spéculation et le profit maximal.
Mais alors que Fowler, qui fut lui-même otage en Afrique, suggère de suspendre les programmes de développement pour donner priorité à l’éradication des foyers terroristes, Parolin appuie le développement durable pour peu qu’il s’attaque aux causes structurelles de la pauvreté et de la faim. Le terrorisme n’est pas le seul obstacle au développement, mais sans le développement, peut-on croire, le terrorisme freinera le progrès.
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