Selon une étude, ce programme de MTV a fait chuter d’un tiers les grossesses précoces en 2010. Tout en faisant de ces jeunes mères des stars glamour.
La dernière saison de « 16 and Pregnant » (« 16 ans et enceinte ») a été diffusée au printemps dernier sur MTV aux Etats-Unis. En cinq ans, l’émission de téléréalité, qui suit les grossesses et les accouchements de lycéennes à la Juno, s’est installée dans le pays : sa page Facebook compte plus de six millions de fans.
L’émission raconte le quotidien de très jeunes filles avant et juste après l’accouchement. Dans des portraits successifs, très bien montés, la grossesse précoce est présentée comme une erreur qu’il faut assumer.
Cette année, des chercheurs ont analysé le phénomène et son impact sur la contraception des ados. Retour sur l’utilité sociale de cette multitude de mini-Juno, dont MTV France diffuse plusieurs épisodes par semaine.
Clip 16andpregnant
Des Juno blondes et moins intelligentes
C’est l’histoire de jeunes filles qui ne se sont pas bien protégées, qui sont tombées enceintes et qui ont décidé de garder l’enfant (dans l’Amérique puritaine, il n’est pas question d’avorter).
La diversité est venue après, mais dans les premières saisons et encore maintenant, la plupart des filles sont blanches. Elles habitent dans une Amérique périurbaine et aisée, faite de petites maisons blanches à porches et de bus scolaires jaunes.
Ce sont des Juno en plus blondes et moins intelligentes – ce qui ne colle pas au portrait typique de la mère ado américaine réelle (plus vieille et plus pauvre). Leurs parents sont plutôt aimants et ouverts.
Les épisodes racontent les moqueries à l’école, les futurs pères qui n’assurent pas, les mères mécontentes et émues en même temps, l’accouchement douloureux, les études abandonnées, les réveils la nuit, la solitude sociale. Ou le déchirement de la séparation en cas d’adoption.
L’émission est réussie dans la mesure où l’ado qui la regarde, avachi sur son canapé et forcément auto-centré, voit de façon très concrète comment son confort pourrait être laminé si un enfant arrivait dans sa vie.
Mackenzie, la star du lycée est enceinte
Par exemple, on suit Mackenzie, 16 ans. Jolie blonde, petite, musclée et « cheerleader » (pom-pom girl) à haut niveau. Son petit copain, Josh, est un grand brun bien taillé passionné de rodéo et un peu mou le reste du temps.
C’est le jeune couple américain modèle, celui que tout le lycée devrait envier en secret. Sauf qu’eux vont devenir parents trop tôt et que ça craint (« it sucks »).
Grosse, Mackenzie ne peut plus faire ses saltos arrière. Josh doit trouver un boulot dès la fin du lycée, ça le saoule. Il ne sait même pas quel est le mois prévu pour l’accouchement. Cela désespère Mackenzie qui se met à débiter des phrases de mégère. Elle est désormais trop fatiguée pour aller en cours.
Avant l’accouchement, Josh se plante en voiture. Mackenzie essaie de faire bonne figure devant ses amies qui continuent de mener des vies d’enfants (« Quelles fringues porter le jour de la rentrée ? »). Elle accouche par césarienne, mais maquillée. Ils se lèvent huit fois la nuit, dans le bordel du salon familial de Mackenzie.
L’adolescente reprend l’école, mais tout a changé.
La question de l’avortement ignorée
Aux Etats-Unis, l’émission est un immense succès : des épisodes dépassent régulièrement la barre de trois millions de spectateurs. Les prénoms des personnages (jeune fille ou enfant) progressent dans la liste de ceux les plus donnés dans le pays. Mais personne n’en pense vraiment la même chose.
La série se veut éducative.
Elle est partenaire d’une association de prévention ;
elle a la caution scientifique d’un psychiatre, Dr. Drew Pinsky, qui encourage les ados à consulter les sites de contraception.
Dans un article du New York Times, datant d’avril 2011, le journaliste Jan Hoffman semblait plutôt convaincu de ses bienfaits. Il a interrogé plusieurs éducateurs sociaux et professeurs impressionnés par l’impact de la série sur les adolescents « qui sont pris dans les intrigues », et qui ne veulent pas « se retrouver dans la même situation que la fille de MTV ». L’émission favoriserait aussi les discussions entre parents et enfants chez eux.
Un article du Washington Post, datant à peu près de la même époque, est plus prudent. La journaliste regrette, par exemple, que l’avortement soit constamment ignoré dans les épisodes (un jeune couple, qui a fait adopter sa fille, est même ouvertement « pro-life »). Une seule « émission spéciale », « No Easy Decision » (une décision pas facile) lui a été consacré en décembre 2010 – et cette seule fois a provoqué un scandale dans les milieux conservateurs américains.
La journaliste trouve que l’émission évite d’autres sujets importants : les complications liées à l’allaitement et l’accouchement, par exemple.
20 000 naissances évitées grâce à l’émission
Les Etats-Unis sont le pays industrialisé le plus concerné par les grossesses précoces : selon l’article du New York Times, 410 000 adolescents, âgés de 15 à 19 ans, ont donné la vie en 2009, soit 1 100 par jour – chiffre qui baisse depuis plusieurs années. En comparaison, en France, les grossesses adolescentes menées à terme, qui ont tendance à diminuer aussi, étaient de 4 500 en 2010.
En 2014, l’émission américaine est devenue un objet d’études et un sujet de séminaires. Ce qui en ressort est contradictoire.
En janvier dernier, deux économistes, Melissa Kearney (Université du Maryland) and Philip B. Levine (Wellesley College) ont montré qu’il y avait une forte corrélation géographique entre les audiences de MTV et la chute du nombre de maternités précoces.
Après chaque diffusion, ils ont montré que les recherches internet et les échanges sur les réseaux sociaux concernant la contraception étaient en hausse. Le nombre de tweets contenant le mot « contraception » augmente de 23%, le lendemain de la diffusion, dit l’étude.
« Je suis désolée mais si vous n’êtes pas pour la contraception, regardez “16 ans et enceinte” […] »
Selon les chercheurs, environ 20 000 naissances précoces auraient été évitées en 2010 grâce à l’émission et ses déclinaisons – un tiers de la chute totale du taux de naissance.
Sexe tape et chirurgie esthétique
Au même moment, une autre étude, plus qualitative, porte un regard plus sceptique sur l’impact sociétal du programme. Avec sa déclinaison, « Teen Mom » (également sur MTV), qui raconte le quotidien de quelques-unes des ados post-accouchement, contribueraient aussi à « glamouriser » les mères ados.
Des chercheurs de l’université d’Indiana ont montré que les spectateurs réguliers de l’émission pensent que les parents mineurs ont « une qualité de vie enviable, des revenus importants et que les pères sont impliqués ».
Alors qu’en réalité, disent les chercheurs, la moitié des mères précoces n’arrivent pas à terminer le lycée et ces dernières gagnent en moyenne 6 500 dollars par an (environ 5 100 euros), pendant les quinze années qui suivent leur accouchement.
Dans l’étude, il est précisé que l’émission « 16 and Pregnant » remplit mieux son rôle de prévention que sa déclinaison « Teen Mom » – programme de téléréalité pure pour le coup, qui a starifié certaines des mères de la première série et leur a donné beaucoup d’argent.
Les producteurs devraient résister à la tentation
Ces filles, qui ont été choisies pour tourner « Teen Mom », sont d’ailleurs en train de devenir des célébrités trash et désespérantes. Amber, l’une d’elles, a été hospitalisée après un coup de folie (violences domestiques). Farrah, qui fait de la chirurgie esthétique, s’est retrouvée dans une sombre histoire de « sexe tape ». Tout ça se retrouve régulièrement en une de « Us Weekly ».
Autre problème : plusieurs filles de « Teen Mom » ont choisi de faire un deuxième enfant dans la foulée (pour continuer d’intéresser la production ?). La « cheerleadeuse » Mackenzie a deux enfants désormais, avec lesquels elle pose sur des plages de sable.
Dans un article de The Atlantic, un journaliste résume bien le problème :
« Je pense que s’ils veulent faire la différence, les producteurs devraient résister à la tentation de faire une suite. D’un programme à succès sur l’horreur de grossesse précoce, ils sont passés à un show tout aussi populaire qui ressemble à “The Hills” [un programme de téléréalité très superficiel, ndlr], avec des couches. »
Ce n’est pas dans les plans de MTV d’arrêter. La chaîne compte lancer une nouvelle saison de « Teen Mom » en 2015.
Succès relatif en France
En France, où le problème des grossesses adolescentes ressurgit avec la crise, l’impact de la série est probablement minime. Les jeunes filles sont culturellement très éloignées des Françaises. Mais chez MTV France, on nous dit quand même que la série est l’un des programmes les plus regardés chez les 15-24 ans. Elle est classée dans une case « documentaires ».
L’émission « Tellement Vrai », diffusée sur NRJ 12, fait aussi régulièrement des portraits de très jeunes mères. Mais les images et le montage salissent tellement ses sujets, qu’il est difficile de s’y identifier.
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