Bad Influences

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De la mort du jeune Noir Michael Brown à Ferguson, le 9 août dernier, à la décision du grand jury, annoncée lundi, de ne pas porter d’accusations contre le policier Darren Wilson qui l’a abattu, pourquoi fallait-il que le scénario soit si prévisible ?

En 1992, avaient été blanchis par la justice américaine les policiers accusés du passage à tabac de Rodney King, arrêté pour excès de vitesse à Los Angeles. S’en étaient suivis six jours d’émeutes. Autres affaires violentes, très médiatisées, qui ont révolté en la démoralisant la communauté noire : celle, en 2009, d’un agent de sécurité reconnnu coupable d’homicide involontaire, plutôt que de meurtre, dans la mort par balle d’un homme noir à Oakland ; ou celle survenue en 2012, en Floride, quand Trayvon Martin a été abattu par un homme qui fut finalement acquitté d’une accusation de meurtre. Il y a une désolante continuité avec les derniers événements de Ferguson, c’est l’évidence, et pourtant, une grande partie des Américains blancs cultivent encore l’illusion, grossie par l’élection de Barack Obama, que les États-Unis ont surmonté depuis longtemps leurs conflits raciaux.

Pleuvent les études qui ont documenté le biais raciste de la justice et des corps policiers américains à l’égard des Noirs. Une statistique reprise par les médias ces derniers jours indique qu’un jeune homme noir a 21 fois plus de risques d’être abattu par la police qu’un jeune homme blanc. Pour autant, un sondage Huffington Post-YouGov rendu public cette semaine montre que seulement 22 % des répondants blancs estiment que l’officier Wilson a fauté en tirant sur le jeune Brown — contre 62 % de répondants afro-américains, ce qui ne constitue pas, au demeurant, une majorité écrasante.

Les racines culturelles de ce racisme sont profondes. Une autre étude, celle-là de Northwestern University, mesure combien l’esclavage et la construction des préjugés ont durablement déshumanisé les Noirs dans la conscience de beaucoup de Blancs, alimentant les méfiances réciproques. Dans son témoignage devant le grand jury, Wilson n’a pas réagi autrement en dépeignant Michael Brown sous des traits quasi bestiaux. Saint Louis est un exemple parmi bien d’autres de la ségrégation urbaine qui sévit dans plusieurs villes américaines, mais il est quand même vrai que les rapports sociaux entre Noirs et Blancs sont, au quotidien, plus sains qu’ils ne l’étaient dans les années 1960. Reste le défi immense de déraciner les mauvaises influences du passé sur le plan institutionnel.

Ferguson n’aura pas aidé cette cause. Si une partie de la solution passe certainement par des mesures destinées à améliorer la foi de la minorité noire dans les institutions du pays, et plus particulièrement dans les tribunaux et la police, alors il serait utile qu’à l’avenir les Robert McCulloch de ce monde soient neutralisés. Procureur dans ce dossier, M. McCulloch était largement perçu par la communauté noire comme étant au service de la police, mais il a refusé de se désister à la faveur d’un procureur spécial. En outre, il a de toute évidence très mal encadré le grand jury et laissé traîner ses travaux sur trois mois, alors qu’ils n’auraient dû durer que quelques jours, contribuant ainsi à créer un climat de suspicion. Bref, sa présence a tenu de l’erreur judiciaire, soulignait The New York Times mercredi en éditorial.

M. Obama a malheureusement laissé courir la fausseté depuis son arrivée au pouvoir en 2008 que sa présidence faisait entrer les États-Unis dans une ère « post-raciale ». Par prudence extrême, la question raciale est un sujet qu’il n’a abordé qu’à moins d’y être forcé par les événements. Heureux donc qu’il ait reconnu lundi soir, tout en lançant un appel au calme, qu’« il y a des sujets où la loi donne trop souvent l’impression d’être appliquée de manière discriminatoire ». D’autres Ferguson exploseront, suivant le même scénario, si rien ne change à ce chapitre.

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