Ferguson: Why Racism Has Not Disappeared with the Election of Obama

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Ferguson : pourquoi le racisme n’a pas disparu avec l’élection d’Obama

FIGAROVOX/ENTRETIEN – L’abandon des poursuites contre le policier blanc qui a tué cet été un jeune garçon noir à Ferguson a provoqué des émeutes violentes dans la ville. François Durpaire analyse les tensions ethniques et culturelles qui continuent de diviser les Etats-Unis.

FigaroVox: La décision d’un grand jury populaire de ne pas poursuivre un policier blanc qui avait tué cet été un jeune homme noir désarmé a provoqué des émeutes dans la ville de Ferguson. L’élection de Barack Obama en 2008, premier président noir de l’histoire des Etats-Unis, avait laissé penser que la question raciale était dépassée dans le pays. Etait-ce une illusion d’optique?

François DURPAIRE: Il serait excessif de considérer que l’élection de Barack Obama a tout changé, et que la question raciale est depuis lors définitivement réglée, tout comme il serait excessif de penser que rien n’a changé, et que la question raciale de 2014 est de même nature que ce qu’elle était dans les années 1960. L’Amérique certes n’est pas intégralement entrée dans une ère post-raciale, mais elle n’est pas non plus restée le pays en noir et blanc qu’elle était jusqu’aux années 1990, lorsqu’éclatèrent les émeutes de Los Angeles.

Peut-on parler de racisme persistant aux Etats-Unis? Ce racisme est-il seulement circonscrit à certains Etats du sud?

Les préjugés raciaux subsistent dans la plupart des sociétés humaines, et les Etats-Unis n’y font pas exception. Toutefois, l’impact de ces préjugés sur les relations sociales est aujourd’hui moindre que ce qu’il était dans les années 1960, lorsque l’Amérique était ségrégée sur le plan légal. Aujourd’hui, cette question entremêle des thématiques raciales et sociales. La population de Ferguson, ainsi, est majoritairement noire, mais est aussi majoritairement pauvre.

Une enquête du Pew Research Center me paraît révélatrice. Menée entre le 14 et le 17 août, elle interrogeait des personnes noires et d’autres blanches, non-hispaniques. Trois chiffres majeurs, représentatifs de ces différences entre les populations, peuvent en être dégagés. D’abord, 65% des noirs pensent que la réaction du policier de Ferguson a été excessive, contre seulement 33% chez les blancs. Ensuite, 80% des noirs disent que le centre du problème est racial, là où 37% des blancs le pensent. Enfin, 18% seulement des noirs interrogés disent faire confiance à la justice, contre 52% des blancs.

De plus, la question est traitée différemment selon l’endroit où l’on se trouve: les Etats-Unis sont un grand pays, et les relations interraciales à Ferguson ne sont pas les mêmes qu’à Hawaï ou New York. La situation de cette ville du Missouri, à la population majoritairement noire, mais dont 56 policiers sur 57 sont blancs, n’est pas la même dans le reste du pays. La société américaine n’est pas uniforme. Barack Obama souhaitait ainsi étendre les politiques et les actions ayant fonctionné dans un endroit au reste du pays.

Les événements que nous avons pu voir ces dernières années, dans le Midwest, ou en Floride, n’ont par exemple pas touché le sud profond, la Louisiane ou le Mississippi. Ces Etats, du fait de leur histoire particulière, ont pris le taureau par les cornes, et ont pris des mesures appropriées, par exemple en mettant sur pied une police interraciale, pour régler le problème du racisme. Même si la situation n’est pas parfaite non plus dans ces Etats, loin sans faute.

Les sociétés multiraciales produisent-elles plus de tensions et de violences que les sociétés «homogènes»?

On ne peut plus, aujourd’hui, parler de sociétés homogènes. Elles n’existent plus. Les sociétés sont désormais multiculturelles, diversifiées d’un point de vue ethnique, culturel et religieux. Toutes les sociétés, de plus, peuvent produire des tensions, et ce quel que soit leur modèle. Après les révoltes urbaines de 2005, certains ont souligné l’échec du modèle assimilationniste. La presse britannique avait ainsi titré «Liberté, égalité, réalité», moquant cet échec, et mettant en exergue la réussite du modèle multiculturaliste britannique. Toutefois, quelques années plus tard, les événements ont prouvé qu’ils avaient, eux aussi, eu tort. On aurait donc tort de penser qu’une société, quelle que soit son modèle, peut être étrangère à ce type de tensions. Ce qui compte c’est la pratique.

S’il subsiste des préjugés raciaux, la question doit en priorité être entendue sous l’angle des clivages sociaux. On ne peut comprendre l’un sans étudier l’autre. La situation de Ferguson est avant tout celle de noirs pauvres.

Peut-on parler de guerre culturelle entre les «white trash», les minorités ethniques et la «upper society» américaine? En quoi les clivages sociaux et ethniques s’entremêlent-ils?

A ce sujet, une enquête parue cette semaine nous offre des résultats intéressants. 54% des minorités ethniques interrogées estimait que le policier de Ferguson devait être poursuivi pour meurtre, tandis que 23% seulement des blancs interrogés le pensaient. Cette enquête peut être lue de deux manières. D’un côté, on peut y voir une opposition, une rupture très nette qui montre que les minorités ethniques ne font pas confiance à la justice ni aux policiers. De l’autre, on peut remettre ces chiffres dans un contexte historique, et rappeler qu’il y a dix ans, on aurait sans doute obtenu 90% des non-blancs déclarant le policier coupable contre 90% des blancs le pensant innocent. En d’autres termes, l’opposition entre les communautés semble tout de même reculer depuis quelques années. Certains Noirs américains considèrent que la décision du jury est juste. Et des Blancs sont présents dans les manifestations à New York pour soutenir la famille de Mickael Brown…

S’il subsiste des préjugés raciaux, la question doit en priorité être entendue sous l’angle des clivages sociaux. On ne peut comprendre l’un sans étudier l’autre. La situation de Ferguson est avant tout celle de noirs pauvres. Les propos d’un journal comme le Washington Post, qui voit ces violences comme l’illustration de clivages raciaux persistants, ne me paraissent donc pas valables.

Pour Barack Obama, «il y a eu beaucoup de progrès dans le domaine des relations raciales en Amérique, mais il reste des problèmes à régler». Quels sont-ils? Comment améliorer la situation?

Les institutions américaines ont fait des progrès dans l’intégration des minorités. Plusieurs indicateurs le montrent: l’obtention d’un diplôme de fin d’études secondaires, l’entrée dans l’enseignement supérieur, le rapprochement des salaires médians entre noirs et non-noirs (même si des différences subsistent encore). Les relations interraciales sont meilleures, et la mixité urbaine augmente dans toutes les grandes villes du pays, à l’exception de New York.

Ces améliorations peuvent toutefois être nuancées. D’abord, les évolutions impactent différemment les communautés: les Noirs en bénéficient moins que les Asiatiques et les Hispaniques. Ensuite, un certain nombre de problèmes touchent spécifiquement la communauté afro-américaine: son taux d’incarcération demeure ainsi plus élevé, ses familles sont plus déstructurées, et on y constate un plus grand nombre de mères célibataires, un problème évoqué par Obama à l’occasion de la Fête des pères. Cette communauté de 30 000 000 de personnes souffre donc encore de certains handicaps sociaux, mais son importance rend impossible toute généralisation: elle reste composite, et son sort évolue avec le temps et en fonction des lieux.

Le sort du procureur du comté de Saint-Louis, Robert McCulloch, me paraît ainsi représentatif des tensions entre les communautés: certains disent qu’il est à la fois juge et parti, dans la mesure où son propre père, officier de police, a été tué par un afro-américain. Ces critiques montrent bien la méfiance d’une partie des Américains envers leur système judiciaire.

L’Etat fédéral joue un rôle essentiel pour améliorer la situation des minorités ethniques. Rappelons qu’il a abrogé l’esclavage, en 1865, et été le moteur de la déségrégation, en 1964 puis 1965. Son rôle demeure aujourd’hui central. Parallèlement à l’enquête de la police locale de Ferguson, une enquête fédérale est ainsi actuellement menée, comme l’a souligné Eric Holder, le procureur général des Etats-Unis. L’Etat fédéral cherche donc à déterminer si les droits civiques du jeune noir tué ont effectivement été bafoués.

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