En annonçant une trêve dans les expulsions qui devrait bénéficier à 5 millions d’illégaux, le Président piège les républicains : ils ne peuvent ni contrer ses décrets, ni les dénoncer trop fort au risque de braquer l’électorat latino.
Une petite trêve pour 5 millions de clandestins et un gros traquenard politique : en annonçant, par un discours solennel jeudi soir à la Maison Blanche, qu’il va user de son pouvoir exécutif pour réguler l’immigration, Barack Obama a de nouveau enveloppé de très grands mots une manœuvre très politicienne. «C’est un très grand coup, qui va beaucoup agiter la scène politique ces deux prochaines années et obligera aussi tous les candidats à la prochaine présidentielle à prendre position sur ce sujet», décrypte Stanley Renshon, professeur de sciences politiques à la City University de New York et consultant du think tank conservateur Center for Immigration Studies.
«Sommes-nous une nation qui a la cruauté d’arracher des enfants aux bras de leurs parents ?» a lancé Obama, retrouvant ses accents les plus grandiloquents de 2008. Sa réponse tient en une série de décrets qui devraient permettre, d’ici au printemps, à tous les parents d’enfants nés aux Etats-Unis d’obtenir des titres de séjour et permis de travail provisoires, pour une durée de trois ans. Près de 4 millions de clandestins, sur les 11 millions estimés aujourd’hui sur le sol américain, sont concernés et échapperont ainsi à la menace de l’expulsion.
Soulagement. L’annonce est énorme pour les millions de résidents illégaux qui vivent aujourd’hui dans la peur permanente d’être expulsés pour un oui ou un non, s’ils sont par exemple arrêtés lors d’un contrôle routier. Mais il ne s’agira que d’un répit de trois ans, au bout duquel leur statut devra être rééexaminé. Une autre mesure annoncée jeudi par Obama apportera quelque soulagement aux jeunes clandestins, arrivés enfants sur le sol américain : la trêve d’expulsion de deux ans qui leur avait été accordée avant la présidentielle de 2012 sera prolongée d’un an et s’étendra à tous ceux arrivés aux Etats-Unis avant janvier 2010 (contre juin 2007 auparavant).
Après avoir lui-même présidé à un nombre record de départs contraints (près de 400 000 par an en moyenne) et gagné le titre de «déportateur en chef», Barack Obama fait de nouveau appel aux «bons anges» du pays, ironisait hier l’éditorialiste du Washington Post Chris Cillizza. Mais le chef de l’Etat tente surtout un nouveau coup politique qui vise tout à la fois à sauver les deux dernières années de sa présidence, à diviser les républicains, et à faciliter l’élection d’un successeur démocrate à la Maison Blanche en 2016. La trêve de trois ans annoncée ce jeudi signifie que les clandestins et leurs proches n’auront plus qu’un an de répit devant eux lors de cette prochaine présidentielle. Ils devront se mobiliser pour assurer l’élection d’un président et d’un Congrès qui prolongeront la mesure.
D’ici là, Obama montre par ces annonces qu’il n’est pas un lame duck, un canard qui boitille jusqu’à la fin de son mandat sans plus rien entreprendre. Mieux : il a toutes les chances d’aggraver encore un peu plus la zizanie dans le camp républicain. Le Président «usurpe ses pouvoirs» en accordant une vaste «amnistie» aux immigrés entrés illégalement sur le sol américain, s’époumonent les plus conservateurs, comme le sénateur Ted Cruz. «Obama avait dit qu’il n’était pas un roi ni un empereur, mais il agit exactement comme s’il en était un», s’est exclamé le leader de la Chambre des représentants, John Boehner, qui tente de faire la synthèse entre les différents courants républicains. A la Chambre et au Sénat, les élus se déchirent déjà sur ce qu’ils pourraient répondre au «coup de force» d’Obama : priver de fonds tout le gouvernement (comme ils l’avaient déjà fait en octobre 2013), geler le budget des agences chargées de l’immigration, bloquer toutes les nominations proposées par la Maison Blanche ou même lancer une procédure d’impeachment… Pour commencer, les élus républicains à la Chambre ont déposé plainte en justice ce vendredi contre un autre des projets phares de la présidence Obama, sa réforme de la santé.
Rétrograde. Au sein même du Grand Old Party, les plus modérés redoutent que cette nouvelle bataille n’enferme le parti dans une image rétrograde, hostile aux immigrés, si ce n’est xénophobe. Ils rappellent que les Latinos représentent une part croissante de l’électorat, qu’ils doivent impérativement conquérir s’ils ne veulent pas que l’Amérique bascule durablement aux mains des démocrates. «Si nous en faisons trop, le débat portera sur nous plutôt que sur Obama», a prévenu le sénateur Lindsey Graham, partisan d’une réforme bipartisane de l’immigration, actuellement bloquée au Congrès.
«Obama est très malin… mais parfois un peu trop pour son propre bien, calcule le professeur Renshon, du Center for Immigration Studies. Il a jeté le gant aux républicains, leur disant : “Prenez ceci puisque vous n’avez pas fait la réforme que je demandais.” Mais décocher un coup dans le nez de quelqu’un, ce n’est pas la meilleure façon de lui demander ensuite de discuter.» L’immigration était déjà un sujet de passions et polémiques brûlantes aux Etats-Unis. Les décrets Obama ne vont pas apaiser le débat.
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