A Plea for Openness

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Plaidoyer pour l’ouverture

Au hasard de mes lectures, je suis tombé sur cette observation de l’économiste français Thomas Piketty : “Les Américains étaient 3 millions lors de la déclaration d’indépendance, ils sont plus de 300 millions aujourd’hui ; les Français étaient presque 30 millions lors de la Révolution française ; ils sont maintenant 66 millions. La population américaine a été multipliée non par deux mais par cent durant la même période.”

Thomas Piketty, qui préfère être considéré comme un “chercheur en sciences sociales”, est, comme la plupart d’entre vous le savent, l’auteur du “best-seller” mondial de l’année : Le Capital au XXIe siècle.

Publié à Paris par le Seuil en septembre 2013, ce livre de 976 pages, très difficile à lire, a néanmoins été rapidement traduit en anglais, en chinois, en coréen (et dans trente autres langues).

Considéré comme l’un des phénomènes d’édition de 2014, il s’est déjà vendu à près de 1 million d’exemplaires.

Comme beaucoup d’entre vous, j’ignorais que les États-Unis avaient multiplié leur population par cent en moins de deux siècles et demi. Et en regardant de plus près les chiffres, j’ai trouvé que l’essor de la population américaine était encore plus spectaculaire que ne l’écrit Thomas Piketty : elle est en effet passée de 2,5 millions en 1776* à quelque 320 millions aujourd’hui, et a donc été multipliée par 128 !

La régularisation, décidée la semaine dernière par le président Barack Obama, de 5 millions d’immigrés clandestins dont les enfants nés aux États-Unis sont américains est de nature à améliorer ce score et confirme que les États-Unis sont encore “une nation ouverte aux migrants”.

La France, elle, avait 28 millions d’habitants en 1789 et en compte 66 millions aujourd’hui : cela donne un bon doublement, résultat d’une croissance démographique normale et de quelques vagues d’immigration relativement modestes.

Thomas Piketty est également connu pour ce credo : “Je crois dans le pouvoir des idées, je crois dans le pouvoir des livres. […] Pour moi, le rapport de force est aussi politique et intellectuel.”

S’il a comparé et opposé les évolutions démo­graphiques de deux pays importants sur une longue période de près de deux siècles et demi, c’est pour en tirer la conclusion importante que voici. Elle est aussi la mienne.

Les progrès de la médecine et de l’hygiène ont permis à la plupart des pays du monde de connaître, au cours de ces deux derniers siècles, une croissance démographique régulière de 1 % ou 2 % par an en moyenne. Mais notre monde est composé de nations qui, pour des raisons géographiques ou climatiques, n’attirent pas les immigrés, ou qui, comme le Japon ou la Corée, les refusent.

Et de quelques autres ouvertes à l’immigration.

Depuis leur naissance, les États-Unis, près de la moitié d’un continent, sont un pays ouvert, et s’ils ont pu multiplier leur population d’origine par plus de cent, c’est parce qu’ils ont su le rester pendant près de deux siècles.

Ils ont supplanté les grandes puissances européennes et sont devenus la première puissance économique, financière, technologique et militaire du monde parce qu’ils ont su non seulement attirer mais retenir et intégrer, décennie après décennie, venus de tous les continents, des millions d’hommes et de femmes en quête d’avenir, d’une terre où ils pourraient déployer leurs énergies et leurs talents.

Complétée par ceux qui forcent la porte de ce “pays aimant”, l’immigration légale est la sève qui a permis à l’arbre américain de grandir plus vite que les autres et de se dresser plus haut. Ce pays est celui où l’innovation est la plus éclatante ; ses universités, réputées les meilleures du monde, attirent en permanence des centaines de milliers d’étudiants venus de tous les horizons.

Mais comme l’Europe et les pays prospères des autres continents, les États-Unis déploient beaucoup d’efforts pour se protéger des migrants des pays pauvres. Ils sont des millions à être massés à leurs frontières, mais l’Amérique “ne peut accueillir toute la misère du monde…”.

Les États-Unis sont, cependant, le pays de la Silicon Valley, de Harvard, Princeton et Yale, de Microsoft, Google, Amazon et Intel.

Leurs besoins en ouvriers qualifiés et en étudiants étrangers (dont les meilleurs restent et deviennent américains) sont impérieux, presque irrésistibles. On a donc vu et entendu cette semaine des lobbies puissants réagir à la régularisation de la moitié des immigrés clandestins décidée par Barack Obama par un “ce n’est pas assez”.

Mandatés par les “chasseurs de tête”, ils ont demandé au gouvernement fédéral d’ouvrir les vannes et lui ont réclamé “plus de visas, des centaines de milliers d’autorisations de travail et la liberté pour les entreprises de faire venir et d’engager des étrangers”.

Quel enseignement tirer des exemples français et américain évoqués ci-dessus à la suite de la comparaison esquissée par Thomas Piketty ?

Même si sa population n’a fait que doubler en deux siècles, la France est un pays d’immigration qui s’ignore et, de surcroît, qui sous-estime ce qu’il doit aux vagues d’immigrés qui l’ont fécondé.

Quant aux États-Unis, ils ne seraient pas ce qu’ils sont s’ils n’avaient su attirer, retenir et intégrer les quelque 200 millions d’immigrés qu’ils ont accueillis depuis que les 2 premiers millions se sont approprié ce pays de cocagne vaste et doté par la providence d’un sous-sol très riche.

L’exemple divergent de ces deux pays montre à tous les autres la voie à suivre : faites revenir une partie de votre diaspora et ne fermez vos frontières ni aux biens ni aux personnes.

Avec prudence, certes, mais détermination, ouvrez-vous aux autres, enrichissez-vous de leur différence.

* En 1776, on a recensé les migrants européens, mais pas les autochtones, ces Indiens qui seront refoulés et ignorés par les nouveaux venus. Deux pays d’immigration encore plus accentuée, l’Australie et le Canada, sont passés dans le même laps de temps de quelques milliers de colons immigrés à 22 millions d’habitants pour le premier et 34 millions pour le second.

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