États-Unis/Cuba: enfin !
Enfin! C’est le premier mot qui me vient à l’esprit devant le dégel historique amorcé hier entre les États-Unis et Cuba.
Enfin, parce que l’actualité internationale est tellement déprimante en cette fin d’année 2014 que la moindre bonne nouvelle apporte un répit bienvenu. Mais aussi, et surtout, parce que le blocus décrété il y a plus d’un demi-siècle contre le régime cubain est aussi anachronique que les autos des années 50 qui roulent toujours dans les rues de La Havane…
Bien des choses ont changé depuis 1962, année où l’embargo a été mis en place. L’Union soviétique qui soutenait le régime Castro n’existe plus. La guerre froide s’est éteinte avec l’effondrement du mur de Berlin, il y a déjà un quart de siècle.
Privé des subsides de Moscou, Cuba s’est retrouvé devant un dilemme que l’actuel président, Raul Castro, a résumé en ces termes: «Nous réformons ou nous coulons.»
Il a choisi la première option, desserrant peu à peu les verrous de l’économie étatisée. Lors de mon dernier reportage à Cuba, il y a sept ans, le secteur privé était encore pratiquement inexistant, les visas de sortie étaient distribués au compte-gouttes et les pénuries touchaient les denrées essentielles.
Depuis qu’il a succédé à son frère malade, Raul Castro a progressivement ouvert les portes aux investissements privés, libéralisé les voyages, annoncé l’abolition du double système monétaire qui créait deux classes de citoyens – ceux qui avaient accès aux «pesos convertibles» et ceux qui en étaient privés.
Le régime a aussi amorcé des négociations économiques avec l’Union européenne et entrouvert l’espace des libertés individuelles.
Cuba est encore loin, très loin de la démocratie. Dans un article paru l’an dernier, la grande spécialiste de Cuba Julia Sweig décrivait le nouveau modèle cubain comme un «hybride d’économie étatique et privée», plus libre qu’autrefois, mais laissant toujours le monopole de l’espace politique au Parti communiste. Pas tout à fait le modèle chinois, pas une démocratie non plus, mais un pays dont les citoyens peuvent respirer davantage – et espérer une vie ne serait-ce qu’un peu meilleure.
Ces changements, que le régime présente comme «une actualisation du modèle socio-économique cubain», s’implantent graduellement. Mais pour les Cubains, le seul fait de pouvoir quitter l’île plus facilement, en toute légalité, équivaut à une révolution.
Pendant que le pays bougeait, Washington, lui, «restait bien plus figé dans le temps que La Havane», écrit Julia Sweig. Pensez-y: le guitariste Ry Cooder a écopé d’une amende salée pour avoir réalisé le disque Buena Vista Social Club, ce grand succès mondial, avec des musiciens cubains! Difficile de mieux illustrer l’acharnement absurde contre un pays qui ne menace plus personne, sauf bien sûr ses dissidents, depuis des décennies.
Hier, Barack Obama a mis un terme à cet absurde immobilisme.
Même s’il ne met pas officiellement un terme à l’embargo, son changement de cap fait entrer les relations américano-cubaines dans la réalité du XXIe siècle. Rétablissement des relations diplomatiques, levée de nombreuses restrictions sur les voyages vers Cuba, retrait du pays de la liste des États soutenant le terrorisme, possibilité d’utiliser les cartes de crédit américaines dans l’île: ce sont autant de mesures concrètes et symboliques marquant le début d’une normalisation.
Pourquoi maintenant? Eh bien, sans doute parce que Barack Obama mène une course contre la montre pour consolider son legs politique, à deux ans de l’échéance de son dernier mandat.
Mais s’il peut aujourd’hui toucher au tabou de l’embargo, c’est parce que la société américaine a changé, elle aussi. Et que le soutien à la politique d’isolement de Cuba est en chute libre.
Comme le constatait le New York Times dans un éditorial publié en octobre, la génération des Cubains qui ont fui l’île dans les années 60 pour s’établir aux États-Unis est en train de mourir. Cette génération s’accrochait farouchement à la politique de la ligne dure à l’endroit de La Havane.
Les sondages montrent qu’aujourd’hui, la communauté cubano-américaine de Miami penche légèrement pour la levée de l’embargo. Tandis qu’une majorité plus significative de Cubano-Américains veut restaurer les relations diplomatiques avec La Havane.
Le virage annoncé hier vise donc principalement des objectifs de politique intérieure, souligne la politicologue québécoise Graciela Ducatenzeiler, spécialiste de l’Amérique latine. Mais il sert aussi les objectifs de Washington sur la scène internationale, ne serait-ce qu’en adoucissant ses rapports avec ses voisins latino-américains. Et enfin, il met un terme à cette politique hypocrite qui permettait de transiger tranquillement avec la Chine, cet autre ennemi de l’époque de la guerre froide qui continue à persécuter ses opposants, mais pas avec Cuba.
En attendant la levée définitive de l’embargo, cette relique d’un siècle passé, l’annonce d’hier est une bonne nouvelle pour les Cubains, pour les États-Unis et pour tout le continent américain.
Le Canada a joué un rôle clé dans ce développement trop longtemps attendu. Et ça aussi, ça mérite d’être souligné.
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