The Perpetual Hydra

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Des révélations contenues dans le rapport partiel que des sénateurs américains ont consacré aux méfaits de la CIA, il faut retenir la place incroyable accordée à l’entreprise privée. À telle enseigne qu’on comprend mieux pourquoi, ici et là, on affirme que cette privatisation rampante a accouché d’un monstre, qui plus est incontrôlable.

Sur les 6000 pages relatant les épisodes récents de l’histoire de la CIA, le dixième seulement a été rendu public après une série de négociations réputées avoir été ardues entre représentants du pouvoir exécutif et ceux du pouvoir législatif commandés par la sénatrice de Californie, Dianne Feinstein. Dans cette publication partielle évoquant les us et coutumes de la CIA dans l’après 11 septembre 2001, il est confirmé que des actes de torture ont été effectués et ont été légalisés. Il est également, voire surtout, souligné que des contractuels, des employés du privé, ont été au coeur des opérations consistant à interroger brutalement des personnes suspectées de terrorisme.

Le premier enseignement des chapitres relatant le recours à des professionnels de la saignée hors de la CIA et des autres agences de renseignements est la vitesse avec laquelle le gouvernement Bush s’est converti à cet usage. Plus précisément, lorsque le premier individu dit important dans l’organigramme d’al-Qaïda a été arrêté, les autorités ont décidé illico de confier son interrogatoire à un spécialiste du privé. Pour être exact, l’Office of Technical Service, une officine de la CIA, a engagé un ancien entraîneur de l’armée de l’air qui apprenait comment résister aux questionnements « sauvages ». Il s’appelait, et s’appelle toujours d’ailleurs, James Mitchell.

Ce personnage a ceci d’extrêmement important dans l’histoire du monopole de la violence détenu par l’État qu’il est l’auteur du mode opératoire employé pour torturer des individus impliqués dans les attentats du 11-Septembre. À la suite de cet épisode, la demande pour ses services a augmenté à la vitesse grand V, les professionnels de la CIA refusant majoritairement l’usage des muscles. Résultat ? Mitchell a fondé avec un de ses anciens collègues de l’Air Force une entreprise qui a engagé des forts en coups sur la gueule. En 2006, tenez-vous bien, 73 % des interrogatoires étaient réalisés par des contractuels du privé. Non seulement ça, mais, pour se parer d’éventuels cauchemars juridiques, tous les interrogatoires faits à l’étranger, en particulier en Thaïlande et en Roumanie, avaient été alloués au privé.

Cet aspect du dossier confirme les révélations de l’extraordinaire enquête menée sur le sujet par la journaliste Dana Priest, du Washington Post, soit que la privatisation tous azimuts du renseignement est devenue le serpent de mer de tout l’appareil d’État américain. À cet égard, les chiffres afférents donnent le vertige. En effet, au terme d’une enquête d’un an — visible sur le réseau PBS sous le titre Top Secret America dans le cadre de l’émission Frontline —, Priest a découvert tout d’abord que le budget alloué aux activités de renseignements est 21 fois ce qu’il était le 10 septembre 2001.

De fait, aujourd’hui, 1931 entreprises exploitent ce créneau aux côtés des 1271 administrations gouvernementales chargées de la surveillance et de la sécurité des citoyens. Exemple de la folie qui s’est emparée des centres décisionnels, dans un lieu grand comme cinq Walmart et situé à Washington, 1700 employés de l’État côtoient 1200 « privés ». La déclinaison quantifiée des débordements en la matière et décryptée par Priest est si longue que sa communication a obligé la composition d’un livre. Bon. On l’a déjà écrit, on le répète, comparativement le Big Brother d’Orwell est un crédule.

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