Aucun Américain à Paris dimanche : “Rien ne peut excuser cette absence”
Seule l’ambassadrice des Etats-Unis en France représentait l’administration américaine dimanche. Ni Obama, ni Kerry, ni Holder. Une absence qui laissera des traces. Editorial.
Connaissez-vous Jane Hartley ? C’est une femme d’affaires et de médias, PDG d’une société de conseil à Manhattan. Très riche, elle a été l’une des grandes donatrices de la campagne de Barack Obama en 2012. En remerciement, il l’a nommée, en octobre dernier, ambassadrice des Etats-Unis en France. Elle était la seule représentante de l’administration américaine dimanche 11 janvier à Paris dans la marche républicaine historique. Oui, la seule.
On espérait que, bravant les risques que tous les chefs d’Etat présents à Paris encourraient, Obama ne se contenterait pas de sa visite, certs symbolique mais insuffisante, le 8 janvier, à l’ambassade de France à Washington et déciderait de venir au dernier moment, par surprise, ou à défaut, son vice-président Joe Biden. On se serait contenté du secrétaire d’Etat, John Kerry. Même le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, qui n’est pas un grand fana des manifs, est venu.
Las, il a fallu faire avec Jane Hartley, que personne dans la foule et à la télévision n’a reconnue, et pour cause : personne ne la connaît. Merci tout de même Mme Hartley, d’avoir sauvé l’honneur du plus vieil allié de la France (à ce que l’on répète en tous cas).
A Washington non plus…
Le ministre de la Justice, Eric Holder, était bien à Paris pour une réunion sur le terrorisme. Mais il n’a pas souhaité marcher avec les Français et la cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement qui ont eu le courage d’être là (on aurait préféré que certains s’abstiennent, il est vrai…). N’a pas souhaité non plus se joindre à eux le secrétaire adjoint à la sécurité intérieure des Etats-Unis, Alejandro Mayorkas, qui assistait à la même réunion, dans des bureaux ultra-protégés de la capitale française.
Tenez-vous bien : pour la première fois dans l’histoire, le secrétaire d’Etat américain (John Kerry) et son adjoint (Antony Blinken) sont parfaitement francophones et prétendument ultra francophiles. Beau-fils de Samuel Pisar, Blinken a même vécu en France plusieurs années et Kerry vient régulièrement à Paris pour voir sa famille. Eh bien, répétons-le, aucun des deux n’a marché avec les Parisiens.
Après un (émouvant) discours en Français, Kerry a préféré rester à New-Dehli, signalant une fois pour toutes que l’Amérique se tourne vers l’Asie. Et Blinken s’est seulement fendu d’un tweet, dimanche.
Ces “grandes personnalités” n’ont même pas participé dimanche à la marche de solidarité organisée à Washington, à quelque pas du Département d’Etat. Pas plus qu’Obama, évidemment. Ni Joe Biden. Ni aucun membre du gouvernement américain.
Le seul officiel présent dans la capitale américaine auprès de la communauté française était la sous-secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, la célèbre Victoria Nuland. Merci Mme Nuland !
Cynisme
On se souvient que le 12 septembre 2001, au lendemain des attentats, ce fut la France, par la voix de son représentant à l’ONU, Jean-David Levitte, qui fit voter – à l’unanimité ! – une résolution autorisant l’Amérique à user d’un droit de légitime défense. Et quelques jours plus tard, Jacques Chirac fut le premier chef d’Etat occidental à se rendre à New York. Un sacré allié. Bien mal aimé en retour.
On espérait le même soutien pour notre “11 septembre culturel”, comme le dit Gilles Kepel.
Ce n’est pas la première fois qu’Obama laisse tomber la France. On se souvient du 31 août 2013 quand tout était prêt pour frapper le régime Assad, coupable d’avoir utilisé l’arme chimique contre son peuple. Les avions étaient en l’air. Au dernier moment, Obama a flanché.
Pour se faire pardonner, il avait invité François Hollande à dîner à la Maison Blanche en tête à tête. Cela ne mange pas de pain, si j’ose dire.
Il y a plus cynique encore. Le président américain a décidé de détourner à son profit l’émotion mondiale suscitée par l’attentat à “Charlie Hebdo”. Le lendemain, il a convoqué une réunion internationale sur la lutte contre le terrorisme mi-février… à New York. Chez lui. Et bien protégé.
Tout cela laissera évidemment des traces. Profondes. Et ce n’est pas la visite de rattrapage de John Kerry, jeudi prochain, à Paris, qui va suffire pour panser les plaies. Il faudra d’autres gestes d’amitié forts, concrets. Sinon la famille transatlantique va définitivement se disloquer.
Vincent Jauvert
PS : faute avouée… La Maison Blanche vient de reconnaître son “erreur”. Lors d’un point presse, son porte-parole a déclaré que l’Amérique regrettait, qu’à la marche de dimanche, elle n’ait pas été représentée par un responsable de plus “haut rang” que l’ambassadrice. Il a néanmoins été incapable d’expliquer pourquoi le ministre de la Justice Eric Holder n’a pu participer au défilé historique.
You belittle our Ambassador and accuse the U.S. of “not supporting France”. Wake up and smell the coffee. The United States has supported France more often and with greater effect and cost to itself than has any other country on earth.
The U.S. is eternally grateful to France for its inspiration and assistance in our own democratic revolution and we remain friends and allies, but each of us with our own priorities.