France’s 9/11?

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New York, 11 septembre 2001 – Paris, 7 janvier 2015 : tout différencie les deux événements : bilan humain, moyens utilisés, nationalité des terroristes. Sauf l’essentiel : la nature symbolique des cibles et la nature universelle des villes visées.

La comparaison entre New York 2001 et Paris 2015 est audacieuse. Est-elle pour autant, au-delà des émotions, légitime ? Sur un plan objectif tout semble séparer les deux tragédies : le nombre des victimes d’abord – près de 3.000 d’un côté, 17 de l’autre – ; les armes utilisées ensuite – des avions de ligne détournés d’un côté, des armes de guerre de l’autre – ; la nationalité des terroristes enfin – des étrangers dans le cas des Etats-Unis, des hommes nés en France et avec des papiers d’identité français dans le cas français. Si l’on veut faire une analyse comparative ne faudrait-il pas plutôt rechercher des analogies avec Londres 2005 (la citoyenneté britannique des terroristes) ou Bombay 2008 (le type d’arme utilisé et le meurtre individualisé et de sang- froid des victimes) ?

Tout semble donc différent entre le 11 septembre 2001 et le 7 janvier 2015. Tout sauf l’essentiel, c’est-à-dire la nature hautement symbolique des cibles visées et le caractère universel des deux villes attaquées. Paris, tout comme New York, n’appartient pas seulement à ses habitants ou à leurs pays. Ce sont des capitales universelles qui appartiennent au monde entier. Les deux tours de Manhattan étaient hier le symbole du capitalisme triomphant, le journal « Charlie Hebdo » est le symbole de la liberté de la presse et de la liberté d’expression (parfois jusqu’à l’excès). Un dessin publié sur Internet traduit mieux que des mots ne pourraient le faire l’analogie entre les deux situations : deux crayons dressés dans le ciel, comme deux tours, symbole de résistance et de résilience face aux attaques des fanatiques. Dans les deux cas, en effet, il s’agit d’une attaque contre nos valeurs et, en réalité, d’une « attaque contre la civilisation ».

« Nous sommes tous des Américains », titrait au lendemain du 11 Septembre le journal « Le Monde ». « Je suis Charlie », proclament, aujourd’hui, de nombreux citoyens du monde entier en signe de solidarité avec les journalistes assassinés. Dans un geste hautement symbolique, le président Barack Obama en personne s’est rendu à l’ambassade de France à Washington pour signer le livre de condoléances, concluant son témoignage d’un retentissant « Vive la France ! ». Et hier à Paris c’était le monde entier qui était symboliquement réuni face au terrorisme.

Au lendemain des attaques contre New York et Washington, l’Amérique a donné au monde une leçon d’unité, de fermeté et de dignité, même si elle a commis plus tard, l’erreur de se lancer dans des aventures militaires coûteuses et peu concluantes, en Afghanistan et plus encore en Irak. En particulier au lendemain du 11 Septembre, il n’ y a pas eu d’attaques significatives contre la communauté musulmane des Etats-Unis.

La France, tout comme l’Amérique, doit faire preuve elle aussi d’unité, de dignité et de responsabilité et pas seulement à court terme, sous le coup de l’émotion. Refuser les amalgames, comme l’a fait la semaine dernière la présidente du Front national, Marine Le Pen, elle-même, est un bon signe (même s’il a été amoindri par la suite par une série de petites manoeuvres politiciennes venues de toutes parts). Mais il ne faut pas se voiler la face. Tous les ingrédients existent en France pour des dérives dangereuses. Une communauté musulmane très importante, une intégration difficile, une communauté juive traumatisée avec encore un attentat meurtier la visant spécifiquement, des partis populistes très puissants, un pouvoir contesté, des cicatrices d’un passé colonial toujours présentes et plus encore un chômage des jeunes particulièrement significatif. Pour vaincre le terrorisme et sa volonté délibérée de diviser et d’opposer les Français entre eux, les citoyens de confession musulmane du reste, les modérés des extrémistes, la France aura besoin du sens de responsabilité et de la détermination de tous ses citoyens. Cela d’autant plus que nous sommes peut-être à la veille d’une série d’attaques planifiées contre l’ensemble des pays européens, Paris n’ayant été qu’un point de départ hautement symbolique avant d’autres cibles, comme Berlin ou Rome.

Dans leur mélange confondant de professionnalisme et d’amateurisme, les responsables de l’attaque contre « Charlie Hebdo », contre les policiers et les juifs de France, sont peut-être en effet les signes avant-coureurs d’une forme nouvelle de terrorisme. Ce n’est plus l’hyperterrorisme du 11 Septembre à New York, qui est demeuré fort heureusement dans sa monstruosité un moment unique qui ne s’est pas reproduit. C’est autre chose, un mélange entre des terroristes nihilistes, dont le seul but est de détruire, et des terroristes plus politiques qui sont animés par un projet, même s’il est parfaitement irrationnel, lui aussi. A cette confusion des genres il convient d’ajouter une course compétitive à la radicalité entre plusieurs canaux historiques, type Al Qaida, et des incarnations plus récentes, type Daech. Ils veulent exister les uns par rapport aux autres et nous sommes devenus le terrain de chasse de leurs morbides exploits. Plus les terroristes semblent nous connaître et nous comprendre (ce n’est pas surprenant, ils sont nos enfants à la dérive) et le choix de « Charlie Hebdo » comme une cible symbolique en est la preuve, tout comme l’hypermarché casher, plus il est essentiel pour nous de les comprendre également et de prévoir et précéder leur évolution.

A terme comme toujours, le terrorisme ne peut que perdre – notre culture de vie l’emportera sur leur culture de mort -, mais il peut encore nous faire très mal, surtout si nous nous divisons. Si nous restons unis, l’attaque contre « Charlie Hebdo », les policiers et l’hypermarché juif, peut constituer, pour la France aujourd’hui, pour l’Europe entière demain, un avertissement salutaire, un appel à la solidarité collective face à une menace qui ne doit pas susciter en nous de la peur, mais de la détermination.

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