Les multinationales Apple, Google et autres General Electric ont accumulé, à l’étranger, des montagnes de profits faiblement imposés, ce qui soulève l’indignation. Or, contrairement à la croyance populaire, ce phénomène n’est pas le lot de l’ensemble des multinationales, il est proprement américain.
Ni l’Europe ni le Canada ne sont aux prises avec une situation semblable avec leurs entreprises. Cette différence s’explique par le système fiscal archaïque des États-Unis, que Barack Obama propose de réformer.
Qu’en est-il au juste? Et comment le système américain se distingue-t-il du nôtre?
Aux États-Unis, faut-il savoir, les profits réalisés à l’étranger par les filiales de sociétés américaines font l’objet d’un lourd impôt lorsqu’ils sont rapatriés. Tant que l’argent reste à l’étranger, il n’est pas imposé, mais au retour, l’impôt fédéral est de 35%, auquel s’ajoute parfois un impôt d’État.
Ce taux musclé a eu des conséquences pour l’économie américaine. Il a privé les Américains de rapatriements de fonds gigantesques. Au total, il y aurait pour 2100 milliards US qui dorment à l’extérieur des États-Unis, selon certaines estimations. C’est autant d’argent que toute la production annuelle de l’économie canadienne, mesurée par le produit intérieur brut (PIB).
Les autorités fiscales de la plupart des autres pays industrialisés ne fonctionnent pas comme le fisc américain. Les fonds qui sont rapatriés de l’étranger sont souvent exemptés d’impôt, comme c’est le cas au Canada, à la condition qu’il y ait un accord fiscal avec le pays hôte.
La logique derrière cette exemption d’impôt est simple. Elle vise à éviter à nos entreprises de payer de l’impôt deux fois, soit dans le pays étranger et au retour au Canada. Il y a eu des abus, certes, mais c’est le grand principe derrière notre système.
Les pays de l’Union européenne ont un fonctionnement semblable. Par exemple, une multinationale française ne paie pas d’impôt en France sur ses profits rapatriés d’Allemagne, puisqu’elle a déjà payé de l’impôt en Allemagne. Et vice-versa.
Barack Obama veut corriger cette exception américaine. Dès 2016, il propose que les entreprises américaines paient un impôt minimum de 19% sur leurs profits courants réalisés à l’étranger. Par contre, la réforme prévoit un mécanisme qui réduirait ce taux dans la même proportion que l’impôt payé à l’étranger.
Autrement dit, si Apple a déjà payé 12,5% sur ses profits en Irlande, elle ne paiera que 6,5% au fisc américain, essentiellement. Si le taux étranger est de 25%, elle ne paiera rien aux États-Unis.
Ce système de taux minimum de 19% ne pénaliserait donc pas les sociétés américaines qui paient leur juste part d’impôt ailleurs et ne découragerait plus le rapatriement de fonds. Par contre, il serait punitif pour les multinationales qui ne paient qu’une petite somme au fisc de toutes origines pour leurs activités courantes.
Barack Obama ne s’arrête pas là. Pour les profits passés, soit les 2100 milliards US accumulés, il veut prélever un impôt de 14%, une seule fois, ce qui rapporterait 268 milliards US, presque autant que le PIB annuel du Québec. L’argent servirait à financer les travaux d’infrastructures et la réduction du déficit.
En échange, le président américain offrirait un cadeau aux entreprises. Il abaisserait leur taux d’imposition fédéral de 35% à 28% (au Québec, le taux fédéral-provincial est de 26,9%). La réforme propose en outre de faire passer de 20% à 28% le taux d’imposition fédéral sur le gain en capital des particuliers.
«Les États-Unis ont un système archaïque. Obama propose maintenant de l’harmoniser avec celui des autres pays, en quelque sorte. L’objectif est de rendre le système fiscal américain plus concurrentiel», explique le fiscaliste Éric Labelle, de PwC.
Il est peu probable que la réforme Obama soit adoptée telle que proposée, puisque les démocrates sont minoritaires. Cependant, les républicains se sont montrés ouverts, pourvu que le système soit simplifié. Au terme de négociations, il pourrait être possible que le taux de 14% sur les profits accumulés à l’étranger passe à 10%, par exemple, et que le taux des entreprises descende plus bas que les 28% envisagés.
À tout événement, ces changements pourraient inspirer le Canada. Ici, les fonds rapatriés sont exemptés d’impôt même si l’argent vient ultimement d’un pays qui ne prélève pas ou peu d’impôt, comme la Barbade, avec qui nous avons une convention fiscale. Un taux minimum semblable au taux de 19% d’Obama serait donc équitable.
Le gouvernement Harper n’a toutefois pas choisi cette voie jusqu’à maintenant. Depuis cinq ans, le Canada a signé des traités avec plusieurs autres paradis fiscaux (Bahamas, île de Man, îles Vierges britanniques, etc.). Ces accords permettent certes au Canada de faire lever le secret fiscal des entreprises canadiennes qui y sont établies, mais en échange, les entreprises peuvent maintenant en rapatrier les fonds au Canada sans payer d’impôt (à la condition qu’elles y aient des activités significatives).
Une histoire à suivre dans le contexte des prochaines élections fédérales…
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PROFITS ACCUMULÉS À L’ÉTRANGER: DES EXEMPLES
(en milliards de dollars US)
General Electric 110
Microsoft 76
Pfizer 69
Apple 54
IBM 52
Sources: Les Affaires et The Wall Street Journal
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