Oscars 2015: Why ‘Birdman’ Was Crowned Best Picture

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Oscars 2015 : pourquoi “Birdman” est sacré meilleur film

L’Académie des Oscars s’est reconnue dans le tableau d’Iñarritu, comédie noire sur un Hollywood phagocyté par ses super-ego en salle mercredi.

Dans une loge miteuse, un acteur lévite en slip. Une voix caverneuse, qu’on croirait celle d’un célèbre justicier de Gotham, l’alpague : “Comment en est-on arrivé là ?” Jadis, Riggan Thomson était une star planétaire : il incarnait un super-héros aux plumes de corbeau nommé Birdman (qui a dit Batman ?). Aujourd’hui, il n’est plus qu’un has-been hanté par le rôle le plus lucratif de sa carrière. À tel point que cet homme-oiseau, tel un maléfique Jiminy Cricket, continue à parler à sa conscience : “Tu n’aurais jamais dû refuser Birdman 4. Tu étais une vedette de cinéma !” Et le convainc qu’il possède de vrais super-pouvoirs lui permettant de voler ou de déplacer les objets par télékinésie…

Ainsi débute Birdman, formidable comédie noire d’Alejandro González Iñarritu qui rompt avec les tragédies (21 Grammes, Babel) auxquelles nous avait habitués le Mexicain. Pendant deux heures rythmées par une batterie survoltée et une mise en scène virtuose donnant l’illusion d’un long plan-séquence, c’est tout le show-business qui se couche sur le divan. Comme on est chez des gens du spectacle, la psychanalyse a pour cadre les travées et la scène d’un théâtre. Nous sommes à Broadway, où Riggan a investi ce qu’il reste de sa fortune et de sa santé mentale pour tenter une renaissance artistique en mettant en scène le recueil de Raymond Carver Parlez-moi d’amour. Mais, entre une fille sortie d’une cure de désintoxication (Emma Stone), un imprésario pressant (Zach Galifianakis), une actrice en plein doute (Naomi Watts) et les hallucinations causées par son mauvais génie Birdman, le chaos guette. D’autant plus que Riggan doit faire appel à un insupportable comédien adepte de la “Méthode”, qui sur scène remplace l’eau par du vrai gin et veut, par souci de véracité, avoir un vrai rapport sexuel avec sa partenaire (Edward Norton, exceptionnel).

Ego hypertrophiés

Les films sur les coulisses du show sont depuis longtemps un genre en soi (All About Eve, Opening Night, The Player…). Mais ce n’est sans doute pas un hasard si ce sont deux réalisateurs étrangers, deux outsiders, qui viennent de dépeindre une industrie du film américaine aussi hystérique qu’en panne d’inspiration. L’an dernier, avec le féroce Maps to The Stars, le Canadien David Cronenberg présentait un Hollywood malade de sa consanguinité. “Il y a un inceste créatif généré par les studios. Tous les films sont génétiquement déformés, proviennent d’une même pensée, sans aucune vision nouvelle. Iron Man 5, Superman 15, et combien à venir ? Il y a tellement de technologie et d’argent, et c’est tellement stupide !” nous confiait-il alors. Dans Birdman, la verve satirique du Mexicain Iñarritu fait elle aussi feu de tout bois, taclant les ego hypertrophiés, les acteurs qui s’offrent une cure de crédibilité à Broadway ou les critiques qui ne peuvent poser une question sans citer Roland Barthes. Le cinéaste ne s’épargne pas, suggérant que son ambition a pu boursoufler ses oeuvres précédentes.

Mais, en choisissant Michael Keaton pour incarner son personnage principal, Iñarritu cible d’abord l’obsession américaine pour les super-héros. “Quand j’ai achevé le script, je savais que Michael était le meilleur choix possible, explique-t-il par téléphone du Canada, en plein tournage de son nouveau film. Ayant été Batman, il apportait un côté méta au long-métrage, de même qu’Edward Norton est réputé avoir été un acteur très difficile à New York.” En 1989, le comédien avait endossé la cape de Bruce Wayne dans le Batman de Tim Burton. Un pionnier de la horde de justiciers masqués qui, dans le sillage du X-Men de Bryan Singer (2000) et du Spider-Man de Sam Raimi (2002), allaient durablement changer le visage de l’entertainment. Un défricheur qui, bien avant Ben Affleck, a dû subir les insultes de fans mécontents du choix de l’interprète devant incarner leur super-héros préféré. Une relique, aussi, dans un monde numérique ne jurant plus que par les bandes-annonces et le teasing.

“Le scénario de Batman 3 était une catastrophe”

Quand on le rencontre dans un hôtel londonien vêtu d’un jean bleu clair et d’une chemise blanche tout droit sortis des années 1990, Michael Keaton, 63 ans, n’a pourtant rien de l’ancien combattant aigri (voir ci-contre). À la différence de Riggan Thomson, lui a su déserter avant un Batman 3 désastreux (leBatman Forever de Joel Schumacher), refusant 15 millions de dollars. “C’était un bon choix, non ? Le scénario était une catastrophe. J’ai dit au studio qu’il faudrait améliorer ça, mais ils n’ont pas voulu. J’ai répondu : “OK, mais je rends la cape.” Dans Birdman, on rit beaucoup quand Riggan cherche à recruter un acteur prestigieux pour sa pièce et découvre qu’ils sont tous occupés. Woody Harrelson ? Il tourne dans un autre Hunger Games. Michael Fassbender ? Dans un énième X-Men. Robert Downey Jr ? Un Iron Man, à moins que ce ne soit un Avengers.

Comme Riggan n’arrivant plus à se désintoxiquer de Birdman, Hollywood semble aujourd’hui drogué aux super-héros, quitte à risquer l’overdose. Le 15 octobre 2014, Kevin Tsujihara, président de Time Warner, a annoncé à ses actionnaires que dix nouveaux longs-métrages adaptés des bandes dessinées de DC Comics allaient voir le jour entre 2016 et 2020. Deux semaines plus tard, c’est son concurrent Kevin Feige, chef de Marvel Studios, qui présentait neuf projets. Jusqu’à 2020, près de 40 films inspirés de comic books devraient ainsi être tournés, entre reboots (redémarrages d’une saga), spin-offs (des séries dérivées), sommets internationaux de super-héros (Superman versus Batman en 2016 en attendant le G8 de la Justice League en 2017) et lancements de nouveaux personnages aux pouvoirs de plus en plus improbables (voir ci-dessous). Si on y ajoute les franchises (Le Flic de Beverly Hills 4, Avatar 2, Star Wars épisode 7…), c’est une armada de plus d’une centaine de blockbusters qui envahira les écrans sur cette période.

Plus grand 8 que Super 8

“C’est un génocide culturel”, lâche Iñarritu. Génocide, vraiment ? “Exactement. Toute une génération qui grandit avec ces spectacles stupides ne va plus avoir la capacité, en allant au cinéma, de se voir révéler des choses sur sa vie. C’est une honte. D’autant plus que ces divertissements pop-corn prétendent à une profondeur en empruntant à la mythologie grecque.” A-t-il été sollicité pour réaliser un blockbuster ? “J’ai eu une offre, mais je serais un très mauvais réalisateur pour ce genre de films, car je ferais disparaître le héros dès la première scène. Ces super-héros sont beaux, riches, puissants et ont le droit de tuer quiconque n’est pas d’accord avec eux. Je n’aime pas ça.” “Le cinéma a, bien sûr, toujours été obsédé par le profit, mais jamais à ce point, constate le vétéran Michael Keaton. Le monde est devenu un gigantesque centre commercial. Avant, c’étaient les cafés familiaux, aujourd’hui, c’est Starbucks. De même, si les studios trouvent un produit qui pousse les gens à dépenser de l’argent, ils vont évidemment se nourrir de ça sur des dizaines d’années. Les super-héros sont à l’industrie du cinéma ce que les jeans sont au textile.” Les CV des nouveaux nababs de Hollywood tendraient à confirmer cette analyse : nommé patron de la Warner en 2013 sans avoir jamais produit un seul film, Kevin Tsujihara est doté d’un MBA de Stanford et a débuté dans la chaîne de parcs d’attractions Six Flags… Plus grand 8 que Super 8 ?

Au milieu des films-attractions prisés par les gestionnaires, la place pour les longs-métrages dits d’auteur semble, elle, de plus en plus restreinte. “C’est le coeur du problème, poursuit Iñarritu. Chaque année, il y a dix ou quinze films originaux formidables, mais ils n’ont plus l’exposition qu’ils méritent. Leur distribution devient de plus en plus minimale, les blockbusters monopolisant les écrans.” Super-héros plus proche de Cassavetes que de Catwoman, son Birdman a pu prendre son envol sur le territoire américain grâce à la saison des prix. Déjà récompensé aux Golden Globes et par les syndicats des producteurs, réalisateurs et acteurs, il est le grand gagnant de la cérémonie des Oscars 2015. La preuve, sans doute, que les professionnels du cinéma commencent eux aussi à se poser cette question : mais comment en est-on arrivé là ?

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