Homeland, House of Cards, miroirs de notre vision du monde
L’immense succès des séries télévisée mettant en scène des sujets politiques reflète notre mélange de fascination et de peur à l’égard de notre système international. Une clef de lecture utile pour la géopolitique.
Les séries télévisées sont à notre temps, dit-on, ce que les feuilletons étaient à la littérature du dix neuvième siècle. Une source inépuisable de divertissement et de discussions. Dans les « dîners en ville », il est devenu indispensable d’étaler ses connaissances sur ce nouveau front de la culture.
« Dites-moi quelle série vous regardez, je vous dirai qui vous êtes ». Au delà de l’ironie, sinon du snobisme, le genre a atteint depuis longtemps ses lettres de noblesse. On pourrait aller jusqu’à dire que les séries télévisées sont devenues des outils incontournables de compréhension du monde, de la politique intérieure à la géopolitique. Pour comprendre par exemple l’opposition qui existe entre le premier ministre israélien Netanyahou et le Président Obama sur l’Iran, la référence aux séries télévisées peut se révéler le plus utile des raccourcis. « Bibi » est encore dans la saison 3 de « Homeland », c’est à dire qu’il est totalement obsédé par l’Iran, alors qu’Obama est déjà passé à la saison 3 de « The House of Cards » et intègre la menace russe dans ses schémas stratégiques.
En réalité les séries télévisées sont tout autant le révélateur des débats qui agitent nos sociétés, que le miroir qui nous renvoie à nos craintes et à nos espoirs. Ces séries peuvent être une préfiguration de notre avenir tout autant qu’une reconstruction, souvent idéalisée, de notre passé. Julian Fellowes, l’auteur de la série peut-être la plus populaire dans le monde, « Downton Abbey », s’interrogeait récemment sur les raisons de son succès. Pourquoi de l’Europe aux Etats-Unis, et au-delà même en Asie, des millions de gens – y compris je dois l’avouer l’auteur de ses lignes – se passionnent-ils pour les aventures de la famille Crawley et de ses serviteurs ? Nostalgie d’un passé qui n’existe plus et qui est reconstitué avec le plus grand souci des détails, fascination pour les rapports sociaux qui pouvaient exister au sein d’un château anglais ?
Pour Julian Fellowes, dans le monde chaotique qui est le nôtre, il existe comme une nostalgie de l’ordre et en particulier un besoin inconscient de strictes règles du jeu. C’est ce qu’offre Downton Abbey à un public désorienté, sinon désemparé. La série télévisée comme refuge exotique, dans l’espace – un château anglais – et le temps – de 1912 jusqu’au milieu des années 1920. Sommes-nous, nous aussi, comme les héros de « Downton Abbey », entre deux mondes, inconscients des changements profonds qui sont sur le point de se produire, et avide de refuge face au présent, sans parler du futur?
Le contraste qui peut exister entre la série « West Wing » (A la Maison Blanche) et « The House of Cards » n’est-il pas la meilleure introduction possible au dysfonctionnement actuel de la politique américaine ? « West Wing » décrit avec nostalgie, la Présidence telle qu’elle devrait être, sous la direction d’un homme cultivé et humaniste. Avec « The House of Cards » on abandonne le monde des idéaux pour entrer dans un univers, à peine exagéré dans sa vision noire. On a quitté le monde de Corneille pour celui de Racine.
En France, la série télévisée « Engrenages », la seule à avoir conquis le marché international, ne préparait-elle pas ses spectateurs aux tragédies de Janvier 2015 ? Sa saison 5 en particulier, dans sa noirceur crépusculaire, dans sa description clinique de la dérive des banlieues, répondant au cynisme absolu et à la violence verbale des rapports entre justice et police, avec des dialogues qui pourraient presque sortir des « dîners de pouvoir » parisien, ne constitue-t-elle pas la meilleure des introduction au malaise de la société française ?
Au Danemark, il est courant d’entendre dire, que le problème du pays, est que la Première Ministre en exercice, est loin de posséder les qualités de Birgitte Nyborg, l’héroïne de « Borgen », la Première Ministre idéalisée, de la très populaire série danoise sur une femme au pouvoir.
Mais s’il est une série qui fait l’objet de très sérieux débats au sein des départements de relations internationales dans tout le monde anglo-saxon, c’est bien « Games of Thrones ». Cette série encourage- t- elle, une vision réaliste du monde, en mettant l’accent sur le rôle de la force, dans ce qu’elle peut avoir de plus brutal?
A-t-elle pu, même, encourager les djihadistes dans des méthodes barbares de décapitation abondamment pratiquées dans la série ? Où cette série offre t-elle, au contraire, une réflexion sur les limites de la force ? De fait, « Games of Thrones », mêle – avec de très grands moyens financier – mythologie antique et évocation du Moyen-Age, pour aboutir à une véritable réflexion géopolitique, qui semble refléter, de manière assez fidèle, notre mélange de fascination et de peur à l’égard du système international qui est le nôtre aujourd’hui.
Les séries télévisées ne sont pas le monopole des Etats-Unis, mais le miroir qu’elles offrent du monde n’est-il pas déformée par la domination incontestable du monde anglo-saxon en la matière?
Les dirigeants Chinois ou Russes prennent-ils le temps de regarder des séries comme « House of Cards » ou « Games of Thrones » pour comprendre de l’intérieur, l’évolution de la mentalité de leur rival ou adversaire ? Au niveau des dirigeants, je ne sais pas, mais à celui de leurs conseillers proches, la réponse est un « Oui » retentissant. Nombres d’entre eux n’ignorent rien des péripéties et enchainements de ces épisodes et cachent leur intérêt « professionnel » derrière leur quête de divertissement. (A moins que ce ne soit l’inverse). Bref, les « Saisons » sont devenues une des clés de lecture de la Géopolitique à l’heure de la mondialisation.
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