Daesh et les apprentis sorciers!
La guerre en Syrie, qui a déjà fait plus de 215.000 morts, est entrée dans sa cinquième année. Peut-on l’arrêter? Comment l’arrêter? Ces interrogations ont retrouvé leur actualité après la déclaration du secrétaire d’Etat américain, John Kerry, selon lequel «au final, il faudra négocier avec M.Assad» pour mettre un terme au conflit. Paroles de bon sens, même si le département d’Etat a minimisé, après coup, leur portée.
Le propos de M.Kerry a induit des réactions de la part du président Bachar al-Assad, comme des alliés des Etats-Unis, la France et la Turquie notamment. Le président syrien a accueilli prudemment la déclaration du chef de la diplomatie US, indiquant que les «paroles ne suffisent pas, nous attendons qu’ils passent aux actes». Il renvoie donc la balle dans le camp de ses adversaires.
Ce qui est de bonne guerre si l’on excipe du fait que ce sont les pays occidentaux, la Turquie et les monarchies du Golfe qui ont participé à transformer une manifestation contre le régime syrien, en une «Révolution» [dans le cadre dudit «Printemps arabe] qui s’est mue au long des années en une atroce tuerie. Or, ni le régime syrien, ni les pays qui ont armé et financé la rébellion syrienne – alliée stratégique des jihadistes d’Al-Nosra (aile syrienne d’Al Qaîda) et de l’Etat islamique – ne sont innocents dans le drame qui a frappé la Syrie dont le territoire est ruiné et la moitié de la population (12 millions de personnes) déplacée. Aussi admettre, in fine, qu’il faudrait, d’une manière ou d’une autre prendre langue avec le pouvoir de Damas, pour abréger les souffrances du peuple syrien, est un pas positif que seuls ceux aveuglés par la haine et un esprit revanchard ne veulent pas franchir.
C’est le cas des chefs de la diplomatie française, Laurent Fabius et turque, Mevlüt Cavusoglu, qui surenchérissent dans le jusqu’au-boutisme, le premier estimant que al-Assad «ne peut s’inscrire dans le cadre d’un règlement négocié», alors que le second juge «inutile» de discuter avec Damas. Bien sûr, ce ne sont pas les peuples français et turc qui endurent l’invasion d’armées étrangères sur leurs territoires respectifs, (le Pentagone estime à 25.000 les étrangers, de près de 80 nationalités, combattant dans les rangs des jihadistes), voient leurs pays, dévastés, devenus un champ de bataille entre entités internationales, détruits par la guerre. Le contraste est ainsi extravagant avec l’émotion et la crainte des responsables français de voir revenir en Hexagone les quelque 300 à 500 Français partis combattre en Syrie. Et Paris est décidé à tout faire pour que ces «jihadistes» français ne reviennent pas. Ce qui est normal pour Paris – défendre sa sécurité et sa stabilité – ne l’est pas à l’évidence pour Damas qui doit, à en croire M.Fabius, accepter les oukases venant de Paris, Londres ou Washington.
La France, indiquait lundi le Quai d’Orsay, souhaite un «règlement politique négocié entre les différentes parties syriennes mais Bachar al-Assad ne peut s’inscrire dans un tel cadre». La France ignorerait-elle [façon de dire], nonobstant les imputations contre le président syrien, que dans toute guerre, le dialogue de sortie de crise ne peut se faire qu’avec l’ennemi et pas autrement. La diplomatie française ajoute «(…) notre objectif est un règlement politique négocié entre les différentes parties syriennes et conduisant à un gouvernement d’unité». De quelles parties syriennes est-il question? Sur le terrain, se battent la rébellion syrienne soutenue par l’Occident – singulièrement par la France – les jihadistes et leur armada de mercenaires, et le régime. Entre qui et qui se fera donc le règlement, version Paris, si le régime de Damas est exclu?
Les Américains, plus pragmatiques, se sont rendus à l’évidence. Dans le contexte actuel – une victoire militaire de la rébellion [ce qui élimine d’office Bachar al-Assad] est illusoire – le régime syrien est inévitable dans tout processus de paix en Syrie. Le chef de la diplomatie turque, qui juge «inutile» de discuter avec Damas, prend ses vaticinations pour des réalités, pour ne point dire qu’il semble méconnaître la situation géopolitique de la Syrie où son pays a joué un rôle prépondérant (avec les monarchies du Golfe) dans l’avènement du terrorisme islamiste. Les armes et le financement des jihadistes, passent par la Turquie, leur entraînement se fait dans une base de ce pays. C’est cocasse que M.Cavusoglu, dont le pays a été derrière la montée en puissance du terrorisme islamique en Syrie ratiocine sur le fait qu’il y aurait «deux problèmes à résoudre en Syrie», «détruire Daesh» dit-il et faire partir Assad «pour ouvrir la voie à une transition politique en Syrie». Réveillez-vous, Monsieur le ministre, l’Empire ottoman n’existe plus!
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