The California Laboratory

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Le laboratoire californien

«Le temps est si sec, le monde devient une maison de poudre», chantait le bluesman Son House en 1930. Ce n’était ni la première sécheresse américaine, ni la dernière. Mais même si les sécheresses surviennent de façon cyclique, celle qui sévit en Californie depuis quatre ans reste exceptionnelle. Les réservoirs ne recèlent qu’assez d’eau pour une année de consommation, calcule la NASA.

La faute aux changements climatiques? Difficile d’établir un lien de cause à effet avec cette crise en particulier. Mais on sait que le climat déréglé rendra les sécheresses plus fréquentes et aiguës.

Les massifs de la Sierra Nevada, dont la fonte remplit le tiers des réservoirs de l’État, brunissaient déjà la semaine dernière. On n’y trouvait que 5% de la couverture neigeuse habituelle.

C’est là que s’est rendu le gouverneur Brown pour annoncer un plan historique. Pour la première fois, la Californie troque la carotte pour le bâton. Elle imposera une baisse de 25% de l’utilisation de l’eau en milieu urbain. Les golfs, parcs, cimetières, terrains de football et aménagements paysagers sont notamment dans la ligne de mire. Par exemple, les villes ne pourront plus arroser leurs terre-pleins.

Ce plan s’ajoute aux mesures d’urgence d’un milliard annoncées il y a quelques mois. On prévoit entre autres investir dans de nouvelles technologies, comme la désalinisation.

Malgré tout, le plan du gouverneur Brown souffre de deux vices: il épargne l’agriculture et ne corrige pas les défaillances du marché.

Il est normal de miser d’abord sur les réductions faciles comme l’usage urbain. Personne ne souffrira trop qu’on rationne l’eau dans les oasis golfiques de Palm Springs.

L’agriculture californienne est au contraire essentielle. Elle fournit la moitié des fruits et légumes du pays, et a déjà souffert de la sécheresse. L’année dernière, 1600 km2 de terres n’ont pas été cultivés à cause du manque d’eau, ce qui a entraîné des pertes de 1,5 milliard de dollars.

Mais la Californie ne réglera pas son problème sans s’attaquer à l’agriculture, qui compte pour 80% de sa consommation d’eau. Une loi a été adoptée l’année dernière pour la réformer, mais l’échéancier de 2040 reste trop lointain.

L’eau se raréfie, mais elle demeure peu chère pour les agriculteurs. Cela les incite à cultiver des plantes gloutonnes comme les amandes ou la luzerne. À elle seule, la luzerne compte pour 15% de la consommation d’eau de l’État. Et elle est ensuite en partie expédiée en Chine où elle nourrira le bétail, le secteur agroalimentaire le plus nocif pour l’environnement. Pendant ce temps, la Californie interdira aux restaurateurs de servir un verre d’eau aux clients qui ne l’ont pas commandé…

Ces absurdités pourraient peut-être se corriger avec un prix de l’eau qui intègre le coût de son gaspillage.

La Californie, l’État américain le plus peuplé et fragile, a été forcée de devenir un laboratoire environnemental, comme le prouvent ses normes d’émission avant-gardistes pour les véhicules. Elle a maintenant la chance d’innover aussi avec l’eau.

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