Uber Innovation?

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Uber: une innovation?

Uber innove, mais cela ne signifie pas qu’il faille l’autoriser sous sa forme actuelle. La société américaine entend supplanter les taxis traditionnels, notamment en offrant à tout un chacun la possibilité de conduire pour arrondir ses fins de mois. Ce faisant, elle est passée dans le collimateur de la justice belge. Désormais, il est clair qu’elle ne peut légalement continuer à offrir ses services sans une modification de la réglementation bruxelloise en matière de taxis. Une telle modification est-elle souhaitable? En toile de fond, un argument est systématiquement cité: Uber innove, bloquer l’innovation serait inadmissible.

Certes, Uber apporte tout une série de nouveautés au marché des taxis bruxellois. La plus tangible est l’utilisation d’une interface smartphone qui permet d’appeler le véhicule le plus proche, même s’il est hors champ de vision. Cela fait gagner du temps aux passagers et aux chauffeurs. L’application facilite également les paiements qui se font automatiquement. Enfin, son système de notation permet de “désactiver” les chauffeurs les moins appréciés des passagers.

Ces innovations sont intéressantes, mais elles ne justifient pas nécessairement une refonte de la réglementation actuelle. Au contraire, comme c’est le cas dans d’autres pays, l’application Uber pourrait parfaitement faire appel au réseau des taxis classiques.

Une flexibilité que les taxis n’ont pas

En fait, Uber se distingue véritablement des taxis par sa capacité à moduler la taille de sa flotte de véhicules. Un des coûts d’exploitation importants pour les taxis est le temps où ils roulent à vide à la recherche de clients. A ce titre, Uber dispose d’un avantage indéniable. En période de forte demande, elle augmente ses tarifs, ce qui permet d’attirer davantage de conducteurs. Quand il y a moins de passagers potentiels, elle peut diminuer le nombre de voitures en baissant ses tarifs. Les véhicules d’Uber roulent donc moins souvent à vide et des voitures supplémentaires sont disponibles quand le besoin s’en fait sentir.

Cette flexibilité est en grande partie due aux chauffeurs d’Uber. Comme certains ne conduisent pas à temps plein, ils sont libres de conduire aux moments les plus rentables et n’engorgent pas le marché durant les périodes creuses. On imagine difficilement les compagnies de taxi traditionnelles se soumettre à ce type d’aléas.

Uber minimise donc le coût des trajets tout en garantissant une meilleure rentabilité aux chauffeurs qui roulent. Mais est-ce suffisant pour justifier une refonte de la réglementation actuelle ? Rien n’est moins sûr.

Pas de concurrence

Le libre marché a beau être l’un des piliers de notre économie, il ne fonctionne pas toujours de manière idéale. Dans ce contexte, le secteur des taxis est souvent cité. Il faut reconnaître qu’en l’absence de réglementation pour l’encadrer, la concurrence s’y exerce difficilement.

Les raisons en sont multiples et bien souvent contestées. On évoque fréquemment le fait qu’attendre un taxi coûte du temps au consommateur et qu’il lui est dès lors préférable de s’embarquer dans le premier qu’il trouve, même si le prix est excessif (le passager y est même contraint lorsqu’il s’embarque dans un rang de taxis).

De plus, le véritable coût de chaque trajet est difficile à calculer. Il dépend notamment du temps qu’il a fallu au taxi pour trouver un passager et de la destination de ce dernier. Comme ils évaluent mal ces coûts et ne sont pas toujours en mesure de comparer les offres de concurrents, les passagers sont mal équipés pour négocier le prix d’une course. Livrée à elle-même, la concurrence fait donc rarement diminuer les prix dans le secteur des taxis. La qualité des prestations peut également en pâtir.

Face à ce problème, les autorités préfèrent souvent limiter l’accès au marché, imposer des standards de qualité et mettre en place des systèmes de tarification qui protègent les usagers. C’est ce qu’a fait la Région bruxelloise.

La Région émet un nombre limité de licences. Tout véhicule qui ne dispose pas de ce sésame est illégal.

En contrepartie, les taxis bruxellois doivent répondre à une série de normes de confort, de sécurité et environnementales. Les chauffeurs doivent notamment suivre une formation et souscrire une assurance spéciale.

Ces exigences sont dans une large mesure incompatibles avec la flexibilité dont bénéficie pour l’instant Uber (et elles expliquent en partie la différence entre les prix pratiqués par les taxis et Uber). Le particulier qui conduit pour Uber ne voudra sans doute pas investir dans un véhicule haut de gamme et des formations onéreuses sans aucune garantie. En offrant des garanties à ses chauffeurs, Uber se priverait de sa flexibilité actuelle.

Un choix pour la Région

La Région bruxelloise est en train de revoir sa réglementation en matière de taxis. Elle sera donc amenée à choisir entre les garanties du système actuel et l’efficacité proposée par Uber, ainsi que d’autres services de ce type. Ce ne sera pas chose aisée. A ce jour, il y a un manque d’études empiriques concernant l’impact économique de sociétés comme Uber. De plus, le nombre de composantes dont il faut tenir compte (prix, délais, sécurité, pollution, transport des personnes à mobilité réduite, etc.) tend à limiter l’émergence d’une solution unique. Il s’agit donc d’une question de choix et de priorités.

Ce qui est sûr, c’est que les chauffeurs de taxi livrent aujourd’hui leur ultime bataille. Dans une dizaine d’années, les voitures autonomes commenceront à faire leur apparition et la question de la réglementation des taxis sera remise sur le tapis. Cet avènement brouillera une fois pour toutes la distinction entre voiture privée et service de taxi. La réglementation actuelle deviendra obsolète. Ce jour-là, rien ne pourra sauver les chauffeurs. Les innovations radicales finissent toujours par l’emporter. C’est ce que Schumpeter appelait la destruction créatrice.

Dirk Auer

Dirk Auer est doctorant en droit de la concurrence à l’ULg, au sein du Liège Competition and Innovation Institute (LCII)

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