Summit of the Americas: An American Domestic Policy Issue

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Le Sommet des Amériques, un enjeu de politique intérieure aux Etats-Unis

Le sommet des Amériques qui s’ouvre ce vendredi à Panama relève d’abord de la politique internationale. Les Etats-Unis y auront l’occasion d’évaluer le poids qui leur reste dans un continent qu’ils ont longtemps dominé et où leur influence est désormais contestée par des Etats nationaux plus autonomes, comme le Brésil, voire hostiles, comme le Venezuela, mais aussi par de nouveaux acteurs extérieurs comme la Chine. Ils y scelleront aussi le retour de Cuba, ostracisé depuis 1962, pour “délit de communisme et de soviétisme”. La poignée de main entre Barack Obama et Raul Castro sera incontestablement historique.

Ce sommet, toutefois, relève aussi et crucialement de la politique intérieure américaine, comme l’illustre d’ailleurs le récent dégel entre Washington et La Havane. A l’orée des élections primaires de 2016, la faction la plus conservatrice du Parti républicain s’est saisie de ce dossier, non seulement pour gâcher la fin de mandat du président Obama, mais aussi pour en faire un marqueur de « pureté idéologique » au sein même de leur camp. Deux des candidats déclarés, le sénateur du Texas Ted Cruz et le sénateur de Floride Marco Rubio, sont d’origine cubaine. Et Jeb Bush, qui lui aussi a annoncé sa candidature, a été gouverneur de la Floride, l’Etat le plus cubanissime du pays.

Même si la communauté cubaine s’est modérée au fil du passage des générations et approuve largement le dialogue actuel, les porte-parole des associations anti-castristes de Miami continuent à refuser toute concession aux frères Castros et à rêver d’un changement de régime abrupt à La Havane. Et ce sont ces cubano-américains conservateurs qui se déplacent le plus massivement lors des élections primaires du Parti républicain. S’il joue finement, le Parti démocrate peut dès lors espérer accroître son score au sein d’une communauté qui l’avait toujours boudé, avec comme perspective de remporter la Floride, un Etat-pivot qui, avec ses 29 grands électeurs, est aussi crucial que l’Etat de New York.

Plus généralement encore, l’Amérique latine s’impose comme un sujet de politique intérieure parce que les communautés hispaniques installées aux Etats-Unis sont en train de changer radicalement la composition démographique du pays et donc de redessiner de fond en comble sa carte politique. Les Hispaniques (appelés aussi Latinos) sont aujourd’hui 57 millions sur une population totale de 321 millions. Ils devraient être 106 millions en 2050, un quart de la population américaine.

L’arc-en-ciel latino

L’histoire des Etats-Unis est en partie celle de ses vagues migratoires et à chaque basculement, la présence de ces communautés ethniques a influé sur la politique intérieure et extérieure du pays. A chaque fois, les cartes ont été redistribuées, de nouveaux rapports de force se sont créés, entre les religions par exemple, lorsque l’immigration irlandaise, italienne et polonaise fit du catholicisme la première religion du pays. Les Hispaniques sont loin de constituer un bloc monolithique, à l’image, d’ailleurs, d’un sous-continent qui,en dépit de ses caractéristiques communes de langue, de culture ou de religion, présente une réelle diversité et n’est pas dénué de solides inimitiés. Les Cubains, les Mexicains, les Colombiens ou les Porto-Ricains ne regardent pas nécessairement le monde de la même manière. Des différences sociales, idéologiques, nationales fracturent la communauté.

Toutefois, tout le monde reconnaît ce que la montée en puissance des hispaniques aura des conséquences significatives sur la politique américaine. Mais dans quel sens? Il y a quelques années, dans un livre contesté, intitulé Qui sommes-nous? Les défis à l’identité nationale de l’Amérique, Samuel Huntington, qui fut aussi l’auteur angoissé du Choc des civilisations, avait tiré la sonnette d’alarme en prévenant que les hispaniques n’accepteraient pas de se fondre dans la culture anglo-saxonne et poseraient dès lors une menace pour le modèle américain. Tout aussi hostiles, d’autres Cassandre, repris dans un récent numéro de la revue The Economist, soulignent aujourd’hui que les Hispaniques vont « tirer les Etats-Unis vers le bas » parce qu’ils réussissent moins bien que les autres migrants, qu’ils ont de mauvaises notes scolaires ou que leurs enfants sont happés par les gangs. Nombreux, toutefois, sont ceux qui contestent cette vision apocalyptique et soulignent au contraire l’apport démographique exceptionnel et le coup de jeune que signifie la montée en puissance des Latinos.

Politiquement, rien non plus n’est joué. Aujourd’hui, une large majorité des électeurs hispaniques penchent du côté démocrate, en grande partie parce que ce parti a une position généralement favorable à l’immigration et à la justice sociale, deux questions essentielles au sein de la communauté latina. Mais il n’est pas certain que les Démocrates pourront compter avec autant d’assurance sur la loyauté de cet électorat comme sur celle des Noirs américains. « Les hispanique sont des Républicains qui s’ignorent », avait fameusement déclaré le président Ronald Reagan, en soulignant les « valeurs culturelles conservatrices » prévalant au sein des communautés latino-américaines. « Celles-ci sont très religieuses, favorables au droit de porter les armes, méfiantes à l’égard d’un Etat bureaucratique », insistent les stratèges républicains. Ils veulent pour preuve de ce « conservatisme latent » la conversion croissante de nombreux catholiques latinos à l’évangélisme, passerelle vers le vote républicain.

Lors de ce sommet historique de Panama, censé célébrer le retour de Cuba au sein de l’Organisation des Etats Américains, nul doute que les conseillers politiques du Parti démocrate regarderont la scène autant avec des yeux de politiciens que de diplomates. Et déjà, l’on susurre à Washington qu’un Latino texan, Julian Castro, actuel ministre du logement d’Obama, pourrait être candidat à la vice-présidence si Hillary Clinton l’emporte à la Convention démocrate de l’été 2016.

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