Barack Obama : sérieusement comique
Samedi soir, le président Obama a livré son discours humoristique annuel à la soirée des correspondants à la Maison Blanche. Sous le couvert de l’humour, il en a révélé plus sur le fond de sa pensée que dans la plupart de ses discours sérieux.
Et le fond de la pensée du président ces jours-ci, c’est qu’il est fâché. Comme à son habitude, le président Obama a livré un discours préparé avec soin par son équipe, auquel personne ne doute qu’il a activement contribué à la rédaction.
Comme à son habitude, le président a réservé quelques-unes de ses flèches les plus pointues à lui-même et à la caricature que font de lui ses adversaires. Par exemple, il a souligné qu’il avait du mal à remplir sa tâche exigeante en prenant le temps de prier cinq fois par jour. Plus loin en soulignant la critique que certains lui font d’être distant et hautain, il conclut, du tac au tac, que ces gens sont vraiment nuls et c’est pour ça qu’il ne veut pas les voir.
Il n’épargne pas ses amis non plus, en se payant la tête de son affable vice-président Joe Biden et en faisant une allusion à Hillary Clinton, « une amie à lui qui il n’y a pas longtemps faisait des millions et qui vit maintenant dans une camionnette en Iowa ».
Obama réserve plusieurs répliques sarcastiques à une critique du rôle de l’argent dans les campagnes électorales, se moquant entre autres de la cour que doivent faire les candidats républicains aux multimilliardaires Charles et David Koch pour pouvoir compter sur leur appui financier (là-dessus, voir ma chronique). « S’ils doivent dépenser un milliard juste pour se faire aimer, ça en dit long sur les candidats! »
Le clou du discours, toutefois, est le passage où il se fait accompagner d’un « interprète de la colère » (anger translator) (vers 13:45). Ce dernier explose aux côtés d’un Obama calme et posé, en disant tout haut ce que le président semble penser tout bas. Par exemple, ce personnage nommé Luther parle ainsi des médias : «On peut compter sur Fox News pour terrifier les Blancs âgés avec leur absurdités.» «Et merci à CNN pour leur couverture mur-à-mur de l’ebola… Pour deux semaines, on était à un pas de Walking Dead…»
Après plusieurs répliques du même acabit, c’est Obama lui-même qui s’agite en parlant de l’opposition à ses initiatives sur les changements climatiques et des négationnistes qui dominent le débat dans le camp de l’opposition républicaine : « Regardez ce qui se passe maintenant. Tous les scientifiques sérieux disent qu’il est temps d’agir. Le Pentagone dit qu’il en va de notre sécurité nationale. Miami est inondée par une belle journée ensoleillée et au lieu de faire quelque chose, on voit des élus qui lancent des balles de neige au milieu du Sénat! » (Ce n’est pas une blague, c’est vraiment arrivé!)
Puis, il ajoute, en s’emportant dans une tirade aussi sentie que jouée : « It is crazy! What about our kids? What kind of stupid, shortsighted, irresponsible bull — ». C’est alors que son interprète colérique l’arrête au milieu d’un mot banni des ondes pour se transformer en modérateur et faire retrouver au président son sang-froid habituel.
La soirée des correspondants est la seule occasion où le président peut aller aussi loin en révélant le fond de sa pensée sous le couvert de l’humour. Sur bien des enjeux, Barack Obama peut composer avec l’obstructionnisme de ses adversaires, mais sur la question des changements climatiques, il a révélé samedi soir à quel point il est excédé par le refus des républicains de faire la moindre concession au consensus scientifique, qui déteint inévitablement sur une bonne partie de l’opinion publique américaine (et même, pourrait-on ajouter, sur l’opinion canadienne). Pour qu’un président vienne à un doigt de prononcer un mot qui est habituellement recouvert par un bip à la télé américaine, il faut vraiment qu’il en ait plein son casque.
Si vous avez quelques minutes et si vous avez le cœur à rire, ça vaut la peine d’écouter ou de réécouter ce discours. Mais le discours vaut aussi la peine d’être lu (le texte est ici) pour comprendre que sur certains enjeux qui lui tiennent à cœur, Obama ne se gênera pas pour agir vigoureusement d’ici à la fin de son mandat, en testant parfois les limites des compétences de la branche exécutive.
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