The Other Youth

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L’autre jeunesse

De Ferguson, l’été dernier, à Baltimore, cette semaine, le réveil sonne aux États-Unis, un demi-siècle après l’adoption des lois sur les droits civiques des Noirs. Et n’arrêtera point de sonner.

Les émeutes qui ont éclaté après les funérailles du jeune Freddie Gray, décédé en détention policière, sont venues à nouveau mettre en exergue le fait que la société américaine est encore loin d’avoir guéri de son racisme. Il y aura d’autres Ferguson et d’autres Baltimore, forcément. La frustration ne demande pas de permis de manifester. Ces émeutes sont une réaction parfaitement compréhensible, pour ne pas dire légitime, à un pouvoir et à une opinion majoritaire qui entretiennent l’idée et le mensonge que la discrimination culturelle et systémique à l’égard de la minorité noire — en éducation, en santé, en emploi — a magiquement disparu avec les lois fédérales antiségrégationnistes des années 1960.

Les casseurs sont le visage le plus moche du ras-le-bol que ressent une grande partie de la jeunesse noire. Occupent d’ailleurs une part démesurée de l’attention des médias. Mais on ne peut nier non plus qu’ils sont une réaction objective, exacerbée, à une justice et à des services policiers habités par une culture enracinée de profilage racial. Faut-il rappeler que les jeunes Afro-Américains ont 21 fois plus de risques d’être abattus par un policier que les jeunes Blancs ? Ou que les tribunaux les condamnent à mort de façon disproportionnée ? Ou qu’ils ont été une chair à canon préférée des États-Unis pendant la guerre du Vietnam (dont on célébrait jeudi le 40e anniversaire de la chute de Saïgon) ?

Arrivé en 2012 de San Francisco, l’actuel chef de la police de Baltimore a créé des remous en février dernier en déclarant qu’il avait été étonné par le « racisme des années 50 » prévalant au sein du service quand il est entré en fonction. Aussi, une cinquantaine d’officiers ont été congédiés ces dernières années pour cause de brutalité policière.

Il reste que les policiers ne sont pas neutres, qu’on se le dise. Ils sont un bras armé de l’ordre établi. Évidemment que les services policiers ont besoin d’être réformés en profondeur pour casser ces comportements. Mais les réformes resteront superficielles, comme la paix sociale, sans changement de mentalité tous azimuts.

D’où urgence de dialogue national. Parce que la violence est un piège, évidemment, comme l’a bien dit en son temps Martin Luther King. Certains proposent la création d’une sorte de Commission de vérité et réconciliation, comme le fit l’Afrique du Sud. C’est une fort bonne idée.

C’est qu’il est lassant, à la fin, le moralisme bon teint dont le président Obama sermonne ses frères chaque fois que leur colère déborde. Il y a urgence de dialogue parce que les Noirs, écrit James Baldwin dans son essai Journey to Atlanta, ont complètement perdu confiance dans la classe politique américaine. Il y a urgence parce qu’au sein même de la communauté, la jeunesse semble avoir perdu foi en ses leaders traditionnels. Si la vieille garde du mouvement des droits civiques a obtenu l’égalité politique formelle, cela n’a pas pour autant débouché sur une égalité plus substantielle. Bien au contraire, en fait : les inégalités économiques se sont creusées, pendant que l’on assiste à une re-ségrégation des écoles et des quartiers.

Baltimore est un cas patent. Elle est l’une parmi une douzaine de villes américaines qui depuis 30 ans se sont massivement « gentrifiées » avec le retour en ville de la génération Y — ou « génération du millénaire » —, celle des jeunes Blancs instruits de classe moyenne qui ont grandi en banlieue. Cela donne à Baltimore une mosaïque compliquée où Blancs et Noirs vivent sous le même toit, côte à côte, mais séparément. Où l’horizon des uns n’est pas du tout celui des autres.

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