In Baltimore, Season 6 of “The Wire” Is Playing Out

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A Baltimore se joue la saison 6 de «The Wire»

On avait reproché à la série de ne pas donner à voir la résistance des habitants aux mécanismes de relégation. Se joue maintenant la saison de «The Wire» dans laquelle, finalement, la population se soulève.

Les quartiers pauvres de Baltimore ont été, samedi 25 et lundi 27 avril, le théâtre de soulèvements après les obsèques de Freddie Gray. L’état d’urgence a été décrété. Ce jeune homme noir de 25 ans est mort des suites d’une fracture des vertèbres cervicales après avoir été interpellé violemment par la police. Cet épisode s’inscrit dans une longue série de brutalités policières et de réactions populaires contre la violence d’Etat et son impunité. En août, la mort de Michael Brown, abattu par un policier à Ferguson, puis l’acquittement de ce dernier, avaient été à l’origine de révoltes et d’un large mouvement aux Etats-Unis reposant à la fois la question des discriminations raciales et celle de la violence policière. En avril, à North Charleston, c’est un homme noir de 50 ans, Walter Scott, qui était abattu de cinq balles par un policier après un contrôle routier pour un feu cassé. La liste se poursuit comme une litanie  : Eric Garner, étranglé à New York par des policiers  ; Tamir Rice, un enfant de 12 ans abattu alors qu’il jouait avec un pistolet en plastique. A Baltimore même, Tyrone West and Anthony Anderson, deux jeunes hommes non armés, sont morts en 2013 alors qu’ils étaient entre les mains de la police. Dans la majorité de ces cas, les policiers n’ont pas été condamnés. Les soulèvements expriment dès lors un sentiment d’injustice face à une histoire qui semble se répéter sans fin.

La réalité vient prolonger la fiction

Ces images qui nous arrivent de Baltimore ne peuvent que nous rappeler celles de The Wire, série télévisée tournée dans la ville dans le courant des ­années 2000, devenue culte par sa qualité cinématographique mais aussi par son rapport à la réalité et sa force critique. The Wire illustrait finement la dégradation des quartiers populaires noirs devenus des ghettos, la concentration de la pauvreté, le poids de la drogue, la fin de l’emploi industriel, la corruption des milieux poli­tiques et l’inefficacité des institutions (police, justice, école) à enrayer la reproduction de la marginalité sociale et sa concentration spatiale dans des quartiers laissés à l’abandon. La réalité vient prolonger la fiction  ; alors qu’on avait reproché à la série de ne pas donner à voir la résistance des habitants à ces mécanismes de relégation, se joue maintenant sous nos yeux la sixième saison de The Wire dans laquelle, fina­lement, la population se soulève.

La reproduction de la marginalité sociale

On ne peut comprendre et analyser les réactions aux violences policières et la colère exprimée dans les rues de Baltimore indépendamment de cette réalité sociale montrée par la série. Car treize ans après la diffusion des premiers épisodes, et malgré la célébration de «la Renaissance de Baltimore» par les élus locaux et les promoteurs immobiliers, rien n’a changé ou presque. Dans cette ville, comme dans la plupart des grands centres urbains américains, les Afro-Américains, et dans une moindre mesure les autres minorités, sont systématiquement discriminés à l’embauche, sont condamnés à des écoles publiques sous-dotées, confrontés aux contrôles policiers au faciès et ont beaucoup plus de chances que les Blancs de se retrouver un jour en prison. Plutôt que d’investir massivement dans ces quartiers, l’Etat a fait depuis trente ans le choix de la prison pour enrayer la violence créée par l’insécurité sociale. Comme le montrait déjà très bien The Wire, l’incarcération de masse, qui touche plus particulièrement les hommes noirs, en déstabilisant les cellules familiales, crée les conditions de reproduction de la marginalité sociale.

Ce constat éloquent qu’il a si bien mis en scène n’a pas empêché le créateur de la série, David Simon, de condamner «la colère, l’égoïsme et la brutalité de ceux qui revendiquent un droit à la violence au nom de Freddie 1». Toute une partie de la presse américaine ne voit dans les émeutiers que «des voyous» ou «des criminels» exerçant une violence gratuite. Si les affrontements dans les rues de Baltimore ne résoudront pas les problèmes de l’Amérique et si on peut comprendre le sentiment d’impuissance et de gâchis qu’ils suscitent, on peut cependant en proposer une lecture plus politique que morale. Ils représentent bien pour partie une mobilisation collective et une prise de parole des habitants des ghettos face à l’injustice, aux inégalités sociales et raciales, à la violence institutionnelle dont ils sont l’objet, un signal d’alarme aux politiques publiques.

Un racisme systémique

Ils succèdent à une grande marche dans la ville et à un ensemble de mobilisations, jusqu’alors pacifistes, à l’échelle nationale. Mais il faut constater qu’en dépit de l’émotion de l’opinion publique et bien que la question raciale soit à l’agenda médiatique – la revue Time a ainsi mis à sa une le slogan du mouvement «Black Lives Matter» – aucune tentative de réforme n’a jusqu’alors été esquissée à l’échelle nationale. L’impuissance ou le désintérêt des élites politiques pour ces questions constitue un second déni de justice. La présence d’un président noir à la Maison Blanche depuis six ans n’a rien changé de ce point de vue. Barack Obama est, peut-être, un des présidents démocrates qui a le moins fait pour la condition des Afro-Américains. Si l’hostilité incessante dont il a fait l’objet de la part de ses adversaires politiques y est pour quelque chose, preuve est faite que la diversification des élites est loin d’être suffisante face au racisme systémique.

Depuis la France, et au-delà de l’effarement que provoque l’embrasement des ghettos américains, il est peut-être l’heure de tirer quelques enseignements. Dans nos quartiers populaires aussi gronde un sentiment d’injustice. Dix ans après les soulèvements qui les ont traversés, les inégalités continuent de se creuser et la discrimination demeure ancrée. Des mouvements sociaux luttent contre le contrôle au faciès ou les violences policières, mais leurs revendications ne sont pas plus entendues que celles des activistes américains ; les responsables politiques français s’engagent dans la même impasse que celle de leurs homologues américains, celle de la criminalisation de la pauvreté et de la jeunesse.

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