Conspiracy or Truth?

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Ça sent la théorie du complot, la nouvelle spécialité du journaliste américain de 78 ans, Seymour Hersh.

Dans un article-fleuve de 10 000 mots publié cette semaine, Hersh affirme que les services secrets pakistanais ont capturé Oussama ben Laden en 2006, et qu’ils l’ont détenu dans une villa d’Abbottabad, située à 80 kilomètres de la capitale, Islamabad. Le Pakistan aurait reçu l’appui financier de l’Arabie saoudite.

Hersh ajoute que le Pakistan était au courant de l’opération militaire lancée par les Américains dans la nuit du 1er au 2 mai 2011 pour abattre ben Laden.

Cette version contredit celle des Américains qui ont toujours dit que le Pakistan n’était au courant de rien et que le raid pour tuer ben Laden avait été exécuté à leur insu. Le gouvernement Obama n’avait pas confiance dans les Pakistanais. Il avait peur qu’il y ait une fuite et que ben Laden prenne ses jambes à son cou avant que le commando d’élite ait le temps de lui loger une balle dans la tête.

En d’autres mots, Hersh, grande vedette du journalisme américain, gagnant du prix Pulitzer, affirme que le président Obama est un menteur et qu’il s’est servi de la mort de ben Laden pour assurer sa réélection. La version fantaisiste du président est digne de Lewis Caroll, l’auteur d’Alice au pays des merveilles, affirme Hersh.

L’accusation est énorme.

L’article de Hersh a fait des vagues. La Maison-Blanche a refusé de le commenter, affirmant qu’il y avait trop d’erreurs.

Qui dit vrai? Hersh qui traite Obama de menteur? Ou le gouvernement américain qui boude l’enquête de Hersh?

Le problème, c’est que la version de Hersh a des trous. Au début, NBC a confirmé une partie de son histoire. Hersh affirme que les États-Unis ont appris que ben Laden se trouvait au Pakistan grâce à un ancien agent des services secrets pakistanais qui a cogné à la porte de l’ambassade des États-Unis à Islamabad. Il a obtenu une récompense de 25 millions pour leur avoir dévoilé la cache de ben Laden.

Les Américains, eux, ont toujours prétendu qu’ils avaient découvert la cachette de ben Laden grâce à une longue enquête de leurs propres services secrets. Un film, Zero Dark Thirty, fait d’ailleurs l’apologie de cette traque.

NBC a dit que deux sources leur avaient confirmé l’existence de cet agent secret qui s’est pointé chez les Américains à Islamabad, mais plus tard, la chaîne de télévision a nuancé: l’agent existe bel et bien, mais ce n’est pas lui qui a révélé à la CIA où se cachait ben Laden.

Carlotta Gall, une journaliste qui a couvert l’Afghanistan et le Pakistan de 2001 à 2013, confirme que les services secrets pakistanais détenaient ben Laden, mais elle n’a jamais publié cette information. Pourquoi le fait-elle aujourd’hui? Pour surfer sur la vague Hersh? Si son histoire n’était pas assez solide en 2013 pour être publiée, pourquoi l’est-elle aujourd’hui?

Hersh se fie sur deux sources: un ex-responsable des services secrets pakistanais au début des années 90 qui témoigne ouvertement, mais que Hersh utilise très peu, et un ancien officier supérieur du renseignement américain qu’il cite abondamment, mais qui reste anonyme. Comme si toute l’enquête – ou la théorie? – de Hersh ne reposait que sur une source anonyme. C’est peu pour un aussi gros scandale.

Si Hersh dit vrai, trois pays auraient comploté, soit l’Arabie saoudite, les États-Unis et le Pakistan. En lisant Hersh, on comprend que beaucoup de monde était au courant de la cache de ben Laden à Abbottabad. Et le secret n’aurait jamais été éventé? Difficile à croire.

Si les Américains savaient que les services secrets pakistanais détenaient ben Laden, pourquoi ne leur ont-ils pas demandé de l’extrader ou de l’assassiner? Pourquoi se lancer dans un raid risqué en pleine nuit?

Hersh affirme que les Pakistanais ne pouvaient pas révéler leur complicité dans le raid américain, car ben Laden était considéré comme un héros. C’est faux. En 2001, au lendemain des attentats du 11-Septembre, ben Laden était effectivement un héros, car il avait humilié les Américains. J’étais au Pakistan à cette époque-là et tout le monde admirait ben Laden. Dix ans plus tard, le vent avait tourné. J’étais à Abbottabad quelques jours après l’exécution de ben Laden et plus personne ne le défendait. Au contraire, les Pakistanais étaient contents d’en être débarrassés. Cet homme, disaient-ils, avait foutu le bordel dans leur pays.

Le magazine américain Slate, qui a fait une entrevue avec Hersh au lendemain de la publication de son enquête, affirme que le taux de popularité de ben Laden au Pakistan n’était que de 18% en 2010. Comment Hersh a-t-il pu se tromper sur un fait aussi important et facile à vérifier?

Dans l’entrevue surréaliste faite par Slate, Hersh répond en émaillant ses réponses de fuck. Il insulte quasiment le journaliste en le faisant passer pour un demeuré qui ignore comment poser des questions. Troublant, comme si Hersh perdait les pédales.

Ce n’est pas la première fois que Hersh se jette tête baissée dans une histoire alambiquée. En 2013, il a affirmé que l’attaque au gaz sarin en Syrie était l’oeuvre de la Turquie et du Front al-Nosra, un groupe lié à Al-Qaïda. Selon lui, l’administration Obama avait manipulé les informations pour mettre l’attaque sur le dos de Bachar al-Assad et justifier ainsi des frappes militaires contre son gouvernement. Une théorie abracadante que peu de gens ont crue.

Assad a finalement accepté de détruire ses stocks de gaz sarin sous la supervision de l’ONU, une façon indirecte d’admettre sa culpabilité.

Obama a-t-il menti? Peut-être. Les Pakistanais savaient-ils que ben Laden était à Abbottabad? Possible. Était-il leur prisonnier depuis 2006? Difficile à croire, mais on ne sait jamais avec le Pakistan.

Il existe beaucoup de zones d’ombre dans cette histoire cousue de fil blanc.

Hersh a été un grand journaliste, mais il serait peut-être temps qu’il prenne sa retraite avant d’épuiser ce qui lui reste de crédibilité.

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