Des protestations contre une base américaine ont fait monter la tension entre Okinawa et le gouvernement japonais. S’y révèlent, en filigrane, deux visions contrastées de l’Amérique dans l’Archipel, entre objet de consommation et violence militaire.
Quelque 35 000 personnes réunies pour faire gronder la protestation: entre les habitants d’Okinawa et le gouvernement japonais pro-américain, la tension est montée d’un cran ce week-end. Pollution, risques de crashes, viols et sentiment d’occupation: les bases de l’armée américaines (en particulier un déménagement sur un nouveau site controversé) dans ces îles du sud de l’Archipel n’en finissent pas d’alimenter la colère. Takeshi Onaga, le gouverneur d’Okinawa, est monté en puissance, évoquant le «droit à l’autodétermination» et la «dignité» du Japon dans son rôle de leader.
Ce qu’il faut lire dans ce bras de fer, c’est le fossé qui s’est creusé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale entre deux idéologies liées à l’image de l’Amérique au Japon. Juste après 1945, l’occupation américaine est une expérience visible, quotidienne, immédiate: à Tokyo, des quartiers appelés à devenir des temples de la jeunesse et du cool (Roppongi, Harajuku) tiennent lieu de résidence aux officiers. Rock, jazz, american dream, trafics et fascination mutuelle cohabitent autour des bases. La pop culture est en germe.
La Guerre froide, néanmoins, va transformer la stratégie américaine. Il s’agit maintenant de faire de l’Archipel la tête de pont de l’Occident en Asie. Comment, à la fois, constituer un bouclier militaire et stabiliser l’économie pour favoriser la croissance? En divisant les territoires et leurs fonctions: dégraissage de la présence militaire dans les îles principales et la capitale pour booster la reconstruction, et concentration du dispositif défensif à Okinawa.
Dès les années 1950, deux «Amériques» émergent ainsi au Japon. D’un côté, l’Amérique comme objet d’identification, une américanisation intériorisée, liée aux nouveaux modes de vie, à la consommation, aux Jeux olympiques de 1964. Non plus un modèle spectaculaire, mais un idéal à portée de main. Cette Amérique-là est mise en scène par les grands médias (en majorité pro-Etats-Unis) comme si elle avait toujours existé, effaçant ses associations avec la violence militaire, confinée à Okinawa – c’est l’autre Amérique, celle des protestations anti-base, de la prostitution et des sols contaminés. Fracture.
Nouveau virage? Selon un récent sondage du journal Asahi, une majorité de la population – y compris sur les îles principales – désapprouve la position du gouvernement Abe quant à la relocalisation de la base. Cela ne va pas affecter le pacte de sécurité américano-japonais dans l’immédiat. Mais c’est une donnée politique avec laquelle il va falloir compter.
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