California: Thirst Valley

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Californie : la vallée de la soif

Après plus de trois ans sans pluie, la Central Valley, au cœur de la Californie, lutte contre la sécheresse qui épuise les sols et les hommes. Une terrible réalité dont témoignent les images de Matt Black. Depuis vingt ans, ce photographe américain arpente cette terre d’exploitations agricoles et de travailleurs pauvres venus du Mexique.

C’est l’autre Californie. Loin d’Hollywood et de la Silicon Valley, la Californie de Matt Black est celle de la Vallée centrale, la dépression qui sépare la côte Pacifique des montagnes de la Sierra Nevada. Une région qui compte quelques-unes des poches de pauvreté les plus enracinées des Etats-Unis, mais qui est aussi l’une des principales richesses agricoles du pays. Depuis plus de vingt ans, le photographe fait la chronique de cette Central Valley où ses parents sont venus s’installer quand il était enfant. Sur Instagram et Tumblr, il publie « Geography of Poverty », l’almanach de ses rencontres avec la poussière et la misère des ouvriers agricoles venus de l’autre côté de la frontière. Ses photos témoignent des rigueurs de la vallée. Mais ces dernières années, dit-il, « la sécheresse a tout changé ».

La pire sécheresse depuis plusieurs centaines d’années

La Californie est entrée dans sa quatrième année sans pluie. Selon les spécialistes du climat, c’est la pire sécheresse que la région a connue depuis plusieurs centaines d’années. A l’approche de l’été, le gouverneur Jerry Brown a pris des mesures drastiques pour conserver l’eau. Pour la première fois de son histoire, la région – terre de la ruée vers l’or – va être rationnée. L’Etat devra économiser 25 % d’eau avant fin février 2016, et chacun devra faire sa part. Mi-avril, les Californiens ont reçu leur feuille de route. Dans les villes comme San Francisco, les habitants devront économiser 8 % par rapport à leur consommation de 2013. Dans le désert – paradis des golfs – et dans les quartiers huppés comme Beverly Hills, où la végétation ne se conçoit qu’en vert, la consommation devra être réduite de 36 %.

Pendant que les riches, à San Diego ou à Palo Alto, pleurent leurs pelouses – ou se préparent à payer les amendes s’ils dépassent leur quota d’eau -, la vallée de la San Joaquin lutte pour sa survie. « Même le paysage change », explique Matt Black. Les champs sont laissés en jachère par les fermiers, faute d’irrigation. Les puits, consacrés à l’utilisation domestique, se sont taris dans plusieurs dizaines de localités. Les habitants sont ravitaillés en eau potable par les municipalités mais pour le reste – douches, lessive, vaisselle –, ils doivent se débrouiller. Par endroits, la vallée elle-même s’affaisse, tant la nappe phréatique se réduit.

Chiffre d’affaires de 6,5 milliards de dollars

La Central Valley craint pour son modèle même de développement. Les habitants des villes font porter le blâme sur les agriculteurs qui consomment, il est vrai, 80 % de l’eau en Californie. Plus personne n’ignore qu’une seule amande nécessite 1 gallon d’eau (3,78 litres). Et que, au total, les producteurs d’amandes (6 500 exploitations) engloutissent 20 % de plus chaque année que les salles de bains et les machines à laver des 39 millions de Californiens. Les agriculteurs répondent que la demande mondiale d’amandes a explosé, notamment en Chine, et que les arbres aujourd’hui menacés par la sécheresse assurent un chiffre d’affaires annuel de 6,5 milliards de dollars.

La Californie produit 90 % des raisins, noix et amandes ; 95 % des brocolis ; 91 % des fraises ; 81 % des carottes… A travers le sort de la Central Valley, la question qui est posée concerne le pays tout entier. Sous l’effet du changement climatique, la Californie devra-t-elle renoncer à être le producteur de plus de la moitié des fruits et légumes des Etats-Unis ?

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