In Soccer, America Is the Winner Now!

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En football, c’est désormais l’Amérique qui gagne !

Bold – Le scandale de la Fifa est un tournant. L’Amérique, à travers sa justice, vient d’exercer une influence décisive sur l’histoire du football. Cette prise de pouvoir, sur le tapis vert, à défaut de l’être sur le terrain, ouvre une ère nouvelle.

Henry Kissinger rêvait de voir les Etats-Unis jouer un rôle important dans le sport roi qu’est le football. Comment le pays le plus puissant de la planète pouvait-il se contenter d’un statut secondaire dans la hiérarchie des grands du « ballon rond » ? Puissance réelle et puissance symbolique devaient aller de pair. L’Amérique faisait rêver le monde, les Américains devaient apprendre à rêver au football.

Les Etats-Unis (à l’exception significative de leur équipe féminine) ne sont toujours pas parvenus au pinacle de ce sport, en tout cas, pas « sur le terrain ». Mais l’Amérique, à travers sa justice, vient d’exercer une influence décisive sur l’histoire du football. Elle seule sans doute pouvait le faire. Des affaires bancaires aux affaires de mœurs, chacun sait qu’on ne plaisante pas avec la justice américaine.

En mettant fin, de manière « dissuasive », serait-on tenté de dire, à l’ère Blatter – et, il faut l’espérer, à l’ensemble du système qu’il avait mis en place –, les Etats-Unis ont, d’une manière détournée, satisfait le rêve d’Henry Kissinger.

Sur un plan géopolitique, la réélection, pour un cinquième mandat, d’un des hommes les plus puissants et les plus controversés du monde du sport, avait semblé confirmer l’entrée dans un monde nouveau. L’Europe pouvait continuer à engranger les victoires sur le terrain dans les phases finales du Mondial, le vrai pouvoir était ailleurs. « L’Union des Humiliés », du continent Africain, à la majorité du continent Sud américain, sans oublier la Russie de Poutine, suffisait à mettre en échec l’Occident démocratique et son arrogance. Pour plagier la formule de l’ancien secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, dans le monde du football, la coalition du Vieux Monde cédait la place, au niveau du pouvoir décisionnel au moins, au Nouveau Monde. N’était-ce pas la confirmation la plus éclatante, du fait que, par étapes, le flambeau de l’histoire était en train de passer dans des mains nouvelles ? Blatter avait beau être suisse, il était le candidat des émergents ou de ceux qui avaient l’ambition de réémerger. A l’entendre, en dépit de son origine nationale et de son style de vie fort peu modeste, il représentait tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, se battaient contre l’establishment et l’ordre établi et imposé par l’homme européen et, au-delà, occidental.

Le nouveau règne de Blatter n’aura duré que quatre jours. La justice américaine était à ses trousses et aurait démontré qu’il n’était pas l’homme négligent mais intègre qu’il prétendait être. Il a préféré jeter l’éponge avant d’affronter ses fourches Caudines. Sur un plan géopolitique, comment doit-on interpréter ce dernier rebondissement spectaculaire ? Faut-il dire, comme le font certains, que l’Occident démocratique est de retour, autrement dit que « L’Empire du Bien (ou tout du moins celui de l’Intégrité et de la Justice) contre-attaque » ? Les démocraties prennent-elles leur revanche, en mettant fin aux dérives insensées d’une Fédération de football qui dans ses calculs financiers et dans ses comportements mafieux ne semblait plus connaître de limites, mettant ainsi en danger la crédibilité du sport le plus populaire de la planète et la légitimité de ceux qui l’incarnaient sur et en dehors des stades ? La réalité est certes moins manichéenne. Blatter a dû remettre sa démission aussi, et peut-être surtout, parce que ses sponsors économiques, parmi les groupes les plus puissants de la planète, inquiets devant l’impact pour leurs marques de l’ampleur du scandale, l’ont contraint à le faire en l’abandonnant, après avoir délibérément sans doute fermé les yeux sur ses dérives. Il n’était plus bon pour le business.

L’étendue du scandale est telle qu’il est peu probable que des hommes qui ont été trop longtemps trop près de l’ancien président puissent incarner le renouveau moral nécessaire. Sur ce plan, Michel Platini, quels que puissent être ses mérites incontestables, n’est sans doute pas l’homme de la situation. Un Monsieur Propre qui n’est pas issu du système en place s’impose. Les autorités du football doivent prendre le temps qu’il convient pour le trouver.

Repartir de zéro ne peut pas se limiter au seul choix des hommes. On ne peut bâtir le futur sur un passé à ce point trouble. Cela signifie-t-il remettre en question les choix faits pour Moscou en 2018 et le Qatar en 2022, par l’équipe dirigeante d’hier ? Il faut sans doute dissocier ces deux décisions. La Russie a une longue tradition de football et certains de ses joueurs, comme l’ancien gardien de but Lev Yachine, font partie de la légende de ce sport. Remettre en cause le choix de Moscou pour le Mondial de 2018, serait aussi faire un cadeau trop grand à Poutine, qui s’en servirait comme d’une arme de propagande contre les Etats-Unis et l’Europe. Le cas du Qatar est très différent. Au delà de toute autre considération, le simple bon sens climatique devrait nous conduire à revoir une décision qui est due, pour employer une formule diplomatique, au moins autant à des considérations financières que sportives et qui menace l’équilibre de toutes les compétitions européennes pour la saison 2021/2022.

« La guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls militaires », disait Clemenceau. Le football est devenu une chose trop sérieuse pour être laissé à une clique corrompue. La justice américaine a agi en quelque sorte pour nous tous.

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