Accélérateur de désordres au Moyen-Orient par le passé, les Etats-Unis n’ont plus aujourd’hui l’appétit nécessaire à l’exercice de leurs responsabilités. Le décalage entre leurs propres priorités et l’évolution du monde l’explique.
“Il n’y a pas de doctrine Obama. Le seul pivot qui compte aujourd’hui dans la politique étrangère des Etats-Unis, ce n’est pas le pivot asiatique ou chinois, c’est le pivot américain. » Au lendemain de la chute humiliante des villes de Ramadi en Irak et Palmyre en Syrie – et alors que démarre la campagne pour les élections présidentielles de 2016 -, les critiques se font plus vives aux Etats-Unis, mais au-delà dans le monde, à l’encontre de la politique étrangère des Etats-Unis. « Obama sait-il ce qu’il fait au Moyen-Orient, a-t-il une vision stratégique tant soit peu cohérente », se demandent non seulement les républicains mais aussi une partie des démocrates ? Et si la solution était de ne rien faire et de laisser les belligérants s’entretuer, jusqu’à ce que la fatigue de voir le sang couler l’emporte sur tout autre sentiment ? Cette tentation néo-isolationniste s’exprime désormais plus ouvertement. Le problème est que cette option n’existe pas. « Ce que vous avez cassé vous appartient », disait hier le général Colin Powell, secrétaire d’Etat de George W. Bush, comparant le Moyen-Orient à un magasin de porcelaines. L’Amérique a cassé l’Irak. Ce n’est pas son armée qui s’est effondrée, c’est la nation elle-même. Pourquoi se faire tuer pour un pays qui n’existe plus ?
Accélérateur de désordres dans la région hier, l’Amérique n’a plus aujourd’hui l’appétit nécessaire à l’exercice de ses responsabilités. Tout se passe comme si, tel un joueur qui a beaucoup perdu, l’Amérique entendait récupérer ses gains sur un seul coup magistral, c’est-à-dire la signature d’un accord avec l’Iran. Mais Téhéran est bien conscient de cette situation et entend exploiter son avantage tactique au maximum de ses possibilités. « Vous avez plus besoin d’un accord que moi : c’est donc à vous de faire l’essentiel des concessions », semblent penser les Iraniens.
Si l’Amérique semble ne plus être au contrôle d’un Moyen-Orient qui échappe de plus en plus à tout principe d’ordre, ce sont pour des raisons qui vont au-delà de la région elle-même. En réalité c’est toute la politique étrangère de l’administration Obama qui se trouve aujourd’hui remise en question.
L’Amérique a beau jeu de dénoncer l’Europe décadente, égoïste, inconséquente, comme elle continue de le faire, parfois à juste titre, hélas. Mais les Etats-Unis, dans leur relation au monde, ne souffrent-ils pas – avec certes infiniment plus de moyens – du même mal que celui de l’Europe ? N’existe-t-il pas comme un décalage entre leurs ambitions, leurs priorités, sinon leur propre transformation et l’évolution du monde ? Le drame de l’Europe est qu’elle s’est rêvée comme l’avant-garde d’un système international postmoderne, comme une puissance civile exemplaire, réinventant le concept de souveraineté pour le XXIe siècle, et ce au moment où le monde se transformait profondément et le plus souvent pour le pire, tout autour d’elle. Ce que l’Union européenne n’avait pas prévu, c’est l’explosion à ses frontières d’un monde prémoderne dans ses émotions et son mode de fonctionnement.
N’existe-t-il pas aujourd’hui de la même manière une inadéquation profonde entre les ambitions affichées de l’Amérique d’Obama au lendemain des deux mandats de George W. Bush et l’environnement international ? Les historiens retiendront sans doute la double responsabilité du président Bush Jr. Il n’a pas seulement entraîné son pays dans des aventures militaires catastrophiques. Il a laissé un héritage tel que son successeur ne pouvait que vouloir faire l’inverse de ce qu’il avait fait. L’Amérique est ainsi passée en un espace de temps très court, de « trop » à « trop peu » dans sa relation au monde.
En donnant aussi clairement la priorité à des considérations de politique intérieure – plus que légitime, par ailleurs -, Obama n’a pas su répondre aux défis d’un monde toujours plus en ébullition. Un chaos auquel l’Amérique a largement contribué, par son hyperactivisme, suivi ensuite par son refus d’agir, comme en Syrie, ou ses hésitations, comme en Libye. Il n’y a pas eu de « reset » avec la Russie de Poutine. Ce dernier a vu dans la non-intervention des Etats-Unis en Syrie – en dépit du fait que le régime de Bachar Al Assad avait franchi, selon les termes mêmes de Washington une ligne rouge – un blanc- seing pour s’emparer de la Crimée.
Et la Chine ne peut qu’avoir le sentiment qu’elle est seule de fait à pouvoir/devoir fixer des limites à ses ambitions régionales, sinon internationales. En affichant des ambitions et une doctrine militaire plus « agressive » face à une Amérique plus incertaine, la Chine traduit la nature réelle de ses ambitions. Pourquoi devrait-elle faire preuve de plus de prudence face à une Amérique si pusillanime ?
Certes, le bilan de l’action extérieure d’Obama est sans doute plus nuancé que ses critiques ne le laissent entendre. L’élimination de Ben Laden a constitué une prise de risque couronnée de succès. A l’inverse, le retrait d’Irak en 2011 apparaît rétrospectivement comme prématuré et terriblement contre-productif au regard de la situation actuelle.
L’ambition de Barack Obama d’entrer dans l’histoire comme un président qui a transformé profondément et pour le mieux l’Amérique de l’intérieur était parfaitement légitime en elle-même. Mais elle n’était sans doute pas compatible avec l’évolution du monde sous ses deux mandats. C’est bien là tout le drame.
Not getting into “stupid wars” sounds like a pretty good foreign policy to me. Perhaps a little too unsophisticated for Monsieur Dominique Moïsi.