Craig Ranch. Petit quartier familial aisé de McKinney, Texas, où l’herbe verte abonde et la tranquillité se respire à pleins poumons. Située à quelques encablures de Dallas, la ville de McKinney n’avait encore jamais fait parler d’elle, si ce n’est qu’elle a été élue, fin 2014, « ville où il fait le mieux vivre aux Etats-Unis » par le magazine Money. Il a suffi d’une vidéo postée sur YouTube pour tout changer.
Depuis samedi 6 juin, près de neuf millions de personnes ont visionné ce film amateur dans lequel on voit un policier blanc arrêter très violemment une adolescente noire, la plaquer au sol avec virulence et dégainer son arme de service lorsque deux hommes tentent de s’interposer. Suffisant pour que les accusations de racisme fusent dans le contexte actuel des émeutes de Baltimore et de Ferguson.
Tout part d’une fête organisée le vendredi 5 juin par Tatiana Rhodes, une jeune fille de 19 ans qui vit à Craig Ranch. L’événement est annoncé plusieurs jours à l’avance sur les réseaux sociaux avec le hashtag #dimepiececookout.
DJ, entrée gratuite… La fête attire vite plus de monde que prévu. Le site Internet du McKinney Courier-Gazette, le quotidien local, apporte des précisions sur le déroulement des faits. La piscine privée près de laquelle la fête était organisée, et dont l’entrée est réservée aux membres du quartier munis d’un badge, a en fait été prise d’assaut par de nombreux jeunes venus s’amuser. La situation a dégénéré lorsque l’agent de sécurité présent sur place a appelé la police en renfort pour remettre de l’ordre.
Pas d’acte raciste
La porte-parole de la police de McKinney, Sabrina Boston, évoque « une foule importante refusant d’obéir aux demandes des officiers de police ». La suite a donc en partie été filmée. Avant l’intervention du policier contre la jeune fille en bikini, Tatiana Rhodes avait elle-même été impliquée dans une échauffourée avec deux femmes blanches plus âgées. Elle s’est ensuite exprimée à ce sujet, affirmant que l’une des femmes lui avait dit de « retourner d’où elle venait, dans sa Section 8 ». Aux Etats-Unis, les « Sections 8 » désignent les logements sociaux le plus souvent situés dans les quartiers défavorisés. Tatiana Rhodes, elle, vit pourtant bien à Craig Ranch et possède un badge pour jouir de la piscine.
Le McKinney Courier-Gazette rapporte le témoignage de deux résidents de Craig Ranch, présents au moment des faits. Michael Cory Quattrin réfute ainsi l’accusation d’un quartier « réservé aux blancs et raciste ». « Quiconque a passé ne serait-ce que quelques minutes ici sait que c’est un mensonge pur et simple. » D’après lui, « les jeunes ont commencé à se battre entre eux et à forcer l’accès à notre piscine privée ». Benet Embry, un Afro-Américain qui anime une émission de radio locale, a lui posté sur sa page Facebook une déclaration pour couper court aux accusations d’acte à caractère raciste. « Je vis dans ce quartier et cet incident n’a rien à voir avec du racisme », peut-on lire. « Quelques voyous ont gâché une fête en se battant, en escaladant les clôtures d’une piscine privée. (…) Tout n’est pas toujours qu’une question de race. »
Les Anonymous s’en mêlent
Le caporal Eric Casebolt a démissionné mardi 9 juin, alors qu’une enquête pour usage excessif de la force sur Dajerria Becton, 14 ans, est en cours. Il suspendu de ses fonctions quelques jours auparavant. Tout au long de la vidéo, on peut aussi entendre le policier s’exprimer avec virulence et tenir des propos déplacés à l’encontre des jeunes présents sur place. Son attitude « a soulevé des inquiétudes », explique Greg Conley, le chef de la police de McKinney, cité par CNN.
Mais le policier devra aussi composer désormais avec les menaces des Anonymous, qui ont fait de lui leur nouvelle cible. Le site internet The Daily Dot écrit ainsi qu’un nouveau compte Twitter a été créé sous l’alias @OpMcKinney. Eric Casebolt y est menacé et une récompense est offerte à qui identifiera un autre homme aperçu sur la vidéo.
Derrière cette chasse à l’homme 2.0, l’impact incroyable de la vidéo et la mobilisation qui en découle disent tout le malaise et le climat d’intenses tensions raciales qui agitent actuellement les Etats-Unis, cinquante ans après les émeutes de Watts à Los Angeles. Ferguson en août 2014, Baltimore en avril, la police américaine marche ces derniers temps sur des œufs et le moindre de ses faits et gestes est attentivement scruté, décortiqué.
Dans la vidéo filmée à Craig Ranch, les policiers ne s’en prennent qu’aux jeunes Noirs, accentuant l’impression désagréable d’une opposition entre une police blanche et une jeunesse noire qui poserait des problèmes. L’auteur de la vidéo, un jeune Blanc nommé Brandon Brooks, n’est d’ailleurs à aucun moment inquiété ou sommé de s’asseoir sur les pelouses, à l’inverse de ses camarades Noirs.
Mais ce qui interpelle par-dessus tout, c’est la réaction disproportionnée du policier devant une situation qui semble lui échapper complètement. Une réaction qui met un peu plus en lumière cette « Amérique qui peine à éradiquer un racisme systémique et où les préjugés sont tenaces ».
Les brutalités policières en question
A McKinney, de nombreuses associations ont pris la parole pour dénoncer un acte raciste et demander le renvoi d’Eric Casebolt. Mardi 9 juin, elles protestaient devant le poste de police de la ville, au côté d’habitants arborant des pancartes comme : « Ce n’est pas parce que je suis Noire que j’habite une Section 8 ».
Ce rassemblement, comme ceux qui se sont tenus aux Etats-Unis en décembre 2014 pour protester contre l’acquittement d’un policier qui avait étranglé à mort Eric Garner, participe de ce que le sociologue Didier Fassin décrit comme « l’ère nouvelle de la protestation ». Evoquant dans une tribune du Monde les statistiques de la police américaine et le profilage racial dont sont victimes les Noirs aux Etats-Unis, le chercheur notait surtout que si « les faits ne sont pas nouveaux » et « les chiffres depuis longtemps disponibles », « les événements de Ferguson ont cependant permis qu’ils soient rendus publics. Ce qui fait l’expérience quotidienne des citoyens Noirs, et que la majorité blanche ignorait, voire niait, est désormais débattue. »
Ce qui était vrai pour Ferguson en août 2014 l’est encore plus aujourd’hui après la mort de Freddie Gray à Baltimore. Les Etats-Unis sont plongés dans cette « longue crise larvée », évoquée par le président Barack Obama lors d’un discours le 28 avril. Le président américain avait alors appelé le pays à « un examen de conscience ». Par chance, il n’y a pas eu cette fois de victime à McKinney. Ce qui a permis au « Daily Show » de Jon Stewart de tourner en dérision l’intervention policière texane pour rappeler qu’au final, il ne s’agissait que d’une fête au bord d’une piscine.
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