Can You Spy on Your Allies?

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L’annonce de la mise sur écoute des présidents français par la NSA a déclenché de nombreuses réactions. Jean-Jacques Urvoas s’est ainsi indigné de ce que les Etats-Unis n’auraient « pas d’alliés, seulement des cibles ou des vassaux », plusieurs autres commentateurs s’étonnant également de pratiques d’espionnage « entre amis ». Dans ce contexte, lorsque le vocabulaire devient imprécis et souvent contre-productif, il est important de préciser ce que seraient des pratiques « normales » entre Etats souverains alliés.

L’échange de renseignement entre alliés

Une alliance est une coopération institutionnalisée entre deux ou plusieurs Etats, principalement sur des questions de sécurité. Historiquement, la fonction principale d’une alliance est de créer un pôle de puissance militaire suffisant pour assurer l’intégrité territoriale de ses membres face à des risques d’agression : c’était par exemple la raison de la création de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN). Dans le cadre d’une alliance, l’échange de renseignement, bien que toujours difficile et sensible, est une pratique courante : les services de renseignements occidentaux échangeaient durant la Guerre Froide des informations sur l’ordre de bataille soviétique ou les réseaux d’espionnages adverses (comme le montre l’affaire Farewell).

Aujourd’hui, une structure dédiée au partage du renseignement existe au sein de l’OTAN, et les services américains et français sont engagés dans une alliance de fait par leurs échanges permanents au sujet des réseaux djihadistes, de la criminalité organisée ou des interventions militaires extérieures. Les services de renseignement des différents pays coopèrent sur des sujets où leurs intérêts nationaux se rejoignent, et la profondeur de cette coopération dépend de leur proximité politique.

Espionner ses alliés

Cette question des intérêts nationaux est cruciale : leur convergence est d’ailleurs souvent la raison même de la création de l’alliance. Ils ne sont pour autant jamais parfaitement alignés. Ce n’est pas parce que nous sommes alliés avec l’Allemagne, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou l’Italie que nous attendons de ces pays qu’ils aient exactement les mêmes intérêts que nous ni qu’ils se comportent comme nous le souhaiterions : l’alliance n’exclut pas la compétition, et les divergences sont même souvent de notoriété publique. Le renseignement, de par sa nature d’outil d’aide à la décision des responsables politiques, est donc une pratique courante, y compris entre alliés.

C’est la raison pour laquelle l’indignation actuelle et les protestations officielles, logiques du point de vue de l’affichage politique, ont une portée limitée. Et ce pour deux raisons. En premier lieu, publier des preuves montrant que des alliés s’espionnent mutuellement ne dit absolument rien de la réalité des rapports de coopération entre ces deux alliés. Oui, la France espionne les Etats-Unis, et oui, les Etats-Unis espionnent la France. Mais la coopération et l’échange d’informations sur des sujets fondamentaux pour notre sécurité nationale sont, de l’avis de tous les acteurs concernés, au beau fixe, et c’est cela qui est important.

Deuxièmement, il est important de souligner que dans la logique des services américains, la captation de l’information par les moyens techniques et numériques est largement automatisée. Nous sommes ainsi dans le cas d’une captation certes de grande ampleur mais avec une intention très faible (qui relèverait d’autres moyens de collecte de renseignement). En d’autres termes, les Etats-Unis nous écoutent parce qu’ils le peuvent, mais ce n’est pas en soi le signe d’une intention hostile. L’hostilité de la démarche serait démontrée par un usage des renseignements collectés contre nos intérêts supérieurs.

La compétition n’est pas l’hostilité

Ce dernier point est fondamental : la preuve d’une compétition entre Etats souverains (ici à travers des écoutes) ne signifie absolument pas que l’alliance entre ces deux Etats périclite, ou relève d’intentions hostiles. Ecouter des responsables français car on dispose des moyens techniques suffisants n’a absolument rien à voir avec des actions de subversion telles que le financement de certains partis politiques, la corruption, la compromission de hauts fonctionnaires et d’élus, ou la propagande généralisée sur les médias sociaux et les sites d’information dits « alternatifs ». Se renseigner sur un pays ne consiste pas à chercher à influencer sa trajectoire sociopolitique.

La France a donc des alliés, y compris dans le domaine du renseignement, et les Etats-Unis en sont même l’un des principaux au regard de notre coopération sur des enjeux fondamentaux pour notre sécurité. Mais elle a aussi des ennemis, dont il convient de se garder. Il serait dommageable que cette affaire des écoutes contribue à brouiller la distinction fondamentale entre compétition et hostilité, entre alliés et ennemis, pour le plus grand bénéfice de ces derniers.

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