Hillary and Jeb: Far From ‘Moderates’

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Hillary Clinton et Jeb Bush ont prononcé récemment leurs discours de lancement de campagne en vue de l’élection présidentielle américaine de 2016. Si ces discours ont servi à quelque chose, c’est à entretenir le mythe, relayé par plusieurs voix dans les médias, selon lequel Clinton et Bush seraient des « modérés », loin des ailes gauche du Parti démocrate et droite du Parti républicain, respectivement.

Le 13 juin dernier à New York, l’ex-première dame des États-Unis a dressé une liste d’épicerie de promesses destinées à séduire les différents groupes d’intérêt militants de son parti. Deux jours plus tard à Orlando, l’ex-gouverneur de la Floride a pour sa part rappelé à ses partisans les politiques fortement conservatrices ayant marqué ses années au pouvoir dans le « Sunshine State ». Or, il n’y a pas là un pivot vers la base des partis en vue des primaires, mais bien une continuation naturelle de deux politiciens chacun solidement campés des deux côtés du spectre idéologique aux États-Unis.

Hillary Clinton, dans le coin gauche

Hormis la suggestion qu’elle serait électoralement quasi invincible, la plus grande illusion entourant la candidature de celle aspirant à devenir la première présidente américaine est sans doute qu’elle constitue une démocrate centriste dans le moule de son mari. Cette idée est typiquement justifiée par son vote en faveur de l’invasion de l’Irak et son ouverture à une politique extérieure musclée. Or, une étude moindrement approfondie de son parcours mène à une conclusion fort différente.

Lors de la présidence de Bill Clinton, Hillary était considérée comme une force faisant un tel contrepoids à l’équipe économique du gouvernement que cette dernière faisait référence en privé à la première dame et à son entourage comme l’aile « bolchévique » de la Maison-Blanche. Au Sénat, Hillary Clinton a par la suite systématiquement occupé le flanc gauche. Que ce soit sur les baisses d’impôt de 2001, l’interdiction de l’avortement par naissance partielle, ou encore la confirmation du juge en chef John Roberts à la Cour suprême, tous des enjeux sur lesquels un nombre substantiel de sénateurs démocrates se sont ralliés à la quasi-totalité des républicains. Mme Clinton n’a pas flanché dans son opposition.

Et il ne s’agit pas là de cas isolés. L’index statistique DW-Nominate, conçu par les politologues Keith Poole et Howard Rosenthal pour comparer la position des élus du Congrès américain sur un échiquier idéologique, est tout aussi éloquent. Sur les 100 membres du Sénat, seuls 10 se trouvaient à la gauche de Clinton lorsqu’elle était en fonction.

Jeb Bush, dans le coin droit

Avant même de devenir gouverneur, Jeb Bush se présentait ouvertement comme aussi, voire plus à droite que son frère George W. Une fois à la tête de la Floride, les changements qu’il a instaurés, comme le souligne le politologue Matthew Corrigan dans son livre Conservative Hurricane, ont été majeurs : privatisation importante du système d’éducation publique, baisses d’impôts et de taxes de près de 20 milliards de dollars, ou encore réduction réelle d’environ 10 % du nombre de fonctionnaires de l’État.

Comme Bush le dit lui-même aujourd’hui, il s’est opposé à tant de propositions de nouvelles dépenses de la part des législateurs de son État que ces derniers le surnommèrent « Veto Corleone ». Lors de son deuxième discours d’investiture, en 2003, Jeb Bush déclara même avoir hâte de voir le jour où les édifices gouvernementaux seraient vides.

Deux ans plus tard, il intervenait personnellement pour empêcher le mari de Terri Schiavo, dans un coma depuis 15 ans, de débrancher l’appareil la maintenant artificiellement en vie. Jugée par la suite inconstitutionnelle, cette décision avait clairement été prise pour promouvoir un programme social-conservateur.

Malgré tout, Jeb Bush est qualifié ad nauseum de modéré — d’abord et avant tout en raison de sa position plus indulgente que celle de nombre de ses homologues républicains sur la question de l’immigration illégale (son épouse est d’origine mexicaine et il parle couramment l’espagnol).

Ces quelques exceptions n’en font pas un modéré, tout comme l’appui d’Hillary Clinton à la guerre en Irak ne permet pas de la qualifier de centriste. En faveur du mariage gai des années avant que Barack Obama ou Hillary Clinton ne le soient, l’ancien vice-président Dick Cheney ne saurait pourtant être considéré comme un modéré ou un progressiste !

Étiqueter Hillary Clinton et Jeb Bush comme des modérés en dit au fond davantage sur l’ampleur actuelle de la polarisation aux États-Unis. L’époque où les Nelson Rockefeller et Bill Clinton pouvaient espérer remporter l’investiture présidentielle de leur parti tout en s’en prenant à leur base militante sur une multitude d’enjeux allant des dépenses gouvernementales à la peine capitale semble de plus en plus lointaine. Le système politique américain est de plus en plus cohérent idéologiquement, avec un parti de gauche et un de droite. Loin d’avoir navigué à contre-courant dans ce système, Hillary Clinton et Jeb Bush y ont, pour la majeure partie, évolué comme des poissons dans l’eau.

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