Removing the Symbol, Confronting Reality

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Effacer le symbole, affronter la réalité

La tuerie qui a fait neuf morts il y a trois semaines aux mains du jeune suprémaciste Dylann Roof dans une église emblématique de la communauté noire à Charleston a fait prendre conscience aux Américains du poids de déni que représente le drapeau confédéré. À son tour, le Sénat de la Caroline du Sud a fait ce qu’il fallait en convenant lundi de le retirer de la législature de l’État. Le symbole était devenu trop gênant.

Les sénateurs de la Caroline du Sud ont décidé par un vote sans ambiguïté de 37 voix contre 3 de faire disparaître le drapeau « rebelle » de l’enceinte de la législature, à Columbia, où il flottait depuis plus de 50 ans. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, évidemment. Il y avait été hissé au début des années 1960 en opposition explicite au mouvement afro-américain pour les droits civiques. Si la Chambre des représentants de l’État valide la décision, le drapeau sera déménagé au Confederate Relic Room and Military Museum, situé dans le centre-ville, ce qui serait tout à fait approprié. Le geste est d’autant plus parlant sur le plan politique que c’est à Charleston que la guerre de Sécession a commencé en avril 1861.

Reste qu’on ne peut pas ne pas être troublé par le fait qu’il a fallu que se produise l’attentat raciste du 17 juin dernier pour que d’un bout à l’autre du pays — en Caroline du Sud, en Alabama, au Mississippi, au Texas… — les politiciens reconnaissent enfin qu’il s’agit d’un symbole patent d’oppression et de violence esclavagiste. C’est le signe qu’une grande partie des Américains sont demeurés négationnistes face à ce passé — ou en ignorent tout simplement le sens véritable. À ce jour, les sondages donnent encore à penser que la plupart des Américains croient, ou veulent croire, que l’enjeu principal de la guerre civile avait trait à la défense des droits des États face à Washington, et non pas à l’esclavage.

La tuerie, pour laquelle Dylann Roof a été formellement accusé mercredi, a déshabillé le mensonge voulant que le drapeau confédéré ne soit pas autre chose qu’un référent culturel à la résistance des États du Sud américain. Commise par un jeune homme apparemment dérangé, partageant l’idéologie de groupes haineux, elle n’a pas déshabillé, en revanche, l’opinion très répandue parmi les Américains que le racisme et les réflexes ségrégationnistes n’existent plus de manière systémique dans la société pluraliste et multiethnique que les États-Unis sont devenus.

C’est ainsi qu’une semaine après la tragédie de Charleston, The Wall Street Journal, entre autres médias de droite, soutenait en éditorial que le racisme institutionnalisé qui existait à l’époque de la lutte pour les droits civiques avait maintenant disparu. Ce qui est objectivement faux. Si des progrès ont certainement été accomplis, le problème demeure néanmoins très réel.

Il se trouve qu’en 2015, l’espérance de vie d’un citoyen américain noir est de cinq ans inférieure à celle d’un Blanc ; que la richesse moyenne d’un ménage noir était en 2013 13 fois inférieure à celle d’une famille blanche, selon une étude du Pew Research Center ; que près des deux tiers des enfants noirs grandissent dans une famille à faibles revenus… Et ainsi de suite.

Absence de discrimination systémique ? Le fonctionnement de la justice présente un éloquent démenti dans un contexte où, de Ferguson à Baltimore, les cas de violence policière contre des Noirs se sont multipliés depuis un an. Près de 80 % des quelque 2400 procureurs élus à l’échelle des États et des localités sont des hommes blancs dans un pays où ils constituent un peu moins du tiers de la population, conclut une étude rendue publique mardi par le Women Donors Network, une organisation basée à San Francisco. L’étude met en évidence un manque de diversité flagrant parmi ceux à qui incombe la responsabilité de porter ou non des accusations dans les causes criminelles et de négocier des ententes de peines. « Ce que cela montre, dans un contexte de crise croissante de la justice criminelle, c’est que nous avons un système où un grand pouvoir discrétionnaire est concentré entre les mains d’un seul groupe démographique », a commenté l’auteure de l’étude.

La réalité, elle aussi, est gênante.

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