Le président américain a reçu Nguyen Phu Trong à la Maison Blanche pour évoquer les menaces de Pékin en mer de Chine méridionale.
La photo en dit long sur l’importance accordée à cette visite. On y voit Barack Obama accueillant tout sourire dans son bureau ovale de la Maison Blanche Nguyen Phu Trong, le secrétaire général du Parti communiste vietnamien. Que le président des Etats-Unis accueille dans ses murs l’un des plus puissants dignitaires d’un régime communiste autoritaire est déjà en soi un événement. Le fait qu’il s’agisse d’un représentant non élu du Vietnam, pays contre lequel les Etats-Unis se sont battus pendant près de vingt ans, est la marque d’une rencontre hautement symbolique et historique. Mardi, Washington n’a évidemment pas déroulé le tapis rouge à Nguyen Phu Trong et ne lui a pas accordé tous les honneurs d’une visite d’Etat. Mais c’est tout de même bien l’administration Obama qui a lancé les invitations.
Quarante ans après la chute de Saïgon, cette visite de quatre jours est une étape supplémentaire de poids dans la normalisation des relations entre les deux pays, entamée en 1995. «Le Vietnam et les Etats-Unis, autrefois ennemis, sont devenus des amis et sont activement engagés dans un partenariat global depuis 2013. C’est vraiment un grand pas que peu auraient pu imaginer il y a vingt ans», a expliqué Nguyen Phu Trong avant de fouler le sol américain.
Discussion «franche» sur les droits de l’homme
Mardi 7 juillet, le président américain a rappelé que les deux pays avaient eu une «histoire difficile» et évoqué les «progrès remarquables» réalisés. Il a dit avoir une discussion «franche» sur les droits de l’homme. On n’en attendait pas moins. Depuis des années, le Vietnam est critiqué pour ses entraves aux libertés fondamentales (droit de rassemblement, d’association et de mouvement) et religieuses ainsi que ses abus et ses violences répétés dans ses centres de détention. Le pays compte environ 150 prisonniers politiques (blogueurs, avocats, représentants religieux, militants associatifs et syndicaux). En charge de l’Asie à l’organisation Human Rights Watch, John Sifton jugeait mardi que le Vietnam avait trop peu évolué au cours des mois écoulés «pour mériter la récompense que constitue une rencontre dans le Bureau ovale».
Mais pour Washington, cette visite est d’importance. Au-delà de la célébration du 20e anniversaire des relations diplomatiques, l’accueil réservé à Nguyen Phu Trong montre bien que l’administration est dans une sorte de phase d’aggiornamento avec ses anciens ennemis communistes, après les récentes retrouvailles avec Cuba. L’approfondissement des relations avec Hanoï illustre aussi un glissement de la politique étrangère de Washington vers l’Asie entamée depuis 2009. Face à l’émergence d’une Chine aux ambitions maritimes hégémoniques qui lui dispute son rôle de gendarme régional, l’administration Obama entend recentrer sa présence dans les eaux de la région et, pour ce faire, cultive les amitiés stratégiques et les alliances utiles dans l’arrière-cour chinoise. Comme l’indiquait Hillary Clinton en 2010 lors de son passage remarqué à Hanoï, «les Etats-Unis ont un intérêt national à préserver la liberté de navigation, un accès ouvert aux zones maritimes d’Asie et le respect du droit international en mer de Chine méridionale».
Grande muraille de sable
Pour Hanoï, cette visite tombe à point nommé. Même s’il a toujours pris soin de pratiquer une politique d’équilibre entre les grandes puissances (jadis Moscou-Pékin, aujourd’hui Pékin-Washington), le régime vietnamien ne rate jamais une occasion de se donner un peu d’air face à l’étouffant voisin chinois. Sans remonter aux mille ans de domination chinoise, ressentis comme un traumatisme dans la conscience nationale vietnamienne, l’histoire entre les deux frères communistes reste conflictuelle. En se gardant bien de nommer la Chine, le patron du PC vietnamien a publiquement fait part, mardi, de ses inquiétudes au sujet des conflits en mer de Chine méridionale «où le droit international n’est pas respecté».
Dernièrement, c’est autour de l’archipel des Spratleys que s’est cristallisée la rancœur de Hanoï. Dans cette région ou se croisent les routes maritimes et les intérêts stratégiques de toute l’Asie, Pékin est en train de cimenter à tout va des dizaines de récifs pour bâtir sa «grande muraille de sable». Signe d’une tension persistante, le Centre d’études stratégiques internationales de Washington vient d’ailleurs d’indiquer que les 3 100 mètres de la piste d’atterrissage bâtie sur le récif de Fiery Cross étaient en voie d’achèvement. Face à ces opérations de bétonnage, le Vietnam recherche donc des appuis et le fait savoir à Pékin en dépêchant aux Etats-Unis Nguyen Phu Trong, l’idéologue et apparatchik, jadis proche des Chinois. Dans le même temps, Hanoï souhaite renforcer ses coopérations militaires avec les Américains qui, eux, ambitionnent d’accéder aux ports vietnamiens.
Cette rencontre comporte également un volet commercial important. Obama souhaite conclure avant son départ de la Maison Blanche le Partenariat transpacifique, un vaste traité de libre-échange pour l’Asie et le Pacifique. Et le Vietnam est l’un des pays très choyés par le président américain puisqu’il est son premier partenaire commercial en Asie du Sud-Est. Tout cela méritait bien une photo dans le Bureau ovale.
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