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Les grands satans des États-Unis

Les Américains mettent régulièrement à jour une liste noire “d’États soutenant le terrorisme”. De quoi s’agit-il ? Nos explications.

Si les États-Unis arrivent à effacer les derniers vestiges de la guerre froide avec Cuba, ils sont loin d’être prêts à pardonner à l’Iran. Même si une issue favorable a été trouvée sur le dossier très sensible du nucléaire iranien, la République islamique est une invitée récurrente de la liste noire américaine d’« États soutenant le terrorisme ». Qu’est-ce, cette liste noire ?

Publiée par le département d’État sous l’administration de Jimmy Carter, la première liste noire d’« États soutenant le terrorisme » (« State sponsors of terrorism », en anglais) date de décembre 1979. Quatre pays partageaient le tableau : l’Irak, la Libye, la Syrie et le Yémen du Sud. Il s’agit d’un pur produit « inspiré par un manichéisme démocratique similaire à la chasse aux sorcières de la guerre froide », explique Annick Cizel, spécialiste de la politique étrangère américaine à la Sorbonne. Dans les années 1980 et 1990, Cuba, l’Iran, la Corée du Nord et le Soudan y ont été ajoutés. « Au total, on relève des ajouts dans cette liste sous des administrations aussi bien démocrates (Carter, Clinton) que républicaines (Reagan), ce qui indique un traitement bipartisan de cette question aux États-Unis », remarque Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’Iris, spécialiste des relations internationales. L’actuelle liste comprend trois États « sponsors du terrorisme » : l’Iran, la Syrie et le Soudan.

Alors qu’elle fait grand bruit en Europe, la liste demeure relativement inconnue aux États-Unis. Même si c’est difficile à établir, « on peut penser que la grande majorité de l’opinion publique américaine ignore l’existence d’une telle liste », constatent Annick Cizel et Julien Zarifian, maîtres de conférence en civilisation américaine à l’université de Cergy-Pontoise. Pour ceux qui sont au courant, elle est loin de faire l’unanimité. Des associations et des intellectuels, dont le philosophe Noam Chomsky, dénoncent le vide juridique et la tentation visant à criminaliser les pays qui ne sont pas des alliés de Washington. « Le concept d’État soutenant le terrorisme est difficile à définir avec précision. Il peut sembler partiel ou réducteur », souligne Julien Zarifian.

Comment l’Iran, la Syrie et le Soudan ont-ils « réussi » leur entrée sur cette liste ?

L’Iran y fut inscrit en 1984. À la suite de la Révolution islamique de 1979 qui détrône le Shah pro-américain, le nouveau Guide suprême, l’Ayatollah Khomeiny, mène une politique de résistance acharnée contre l’« impérialisme américain ». L’antagonisme entre les deux pays atteint son paroxysme avec la prise d’otages de l’ambassade américaine à Téhéran, qui s’achève en 1981 après 444 jours de détention. En outre, Téhéran s’attire les foudres de Washington en raison de son soutien assidu aux groupes armés classés « terroristes », dont le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais, fondé par l’Iran. Mais l’élément déclencheur, selon Thierry Coville, spécialiste de l’Iran, est l’attentat du 23 octobre 1983 à Beyrouth dans lequel ont péri 241 soldats américains. Washington accuse Téhéran et le Hezbollah d’en être responsables. Un an après, la République islamique intègre la liste noire qu’elle n’a jamais pu quitter depuis.

Considérée par Washington dès les années 1970 comme l’autre « sponsor du terrorisme » au Moyen-Orient, la Syrie « ne cesse d’appuyer les organisations terroristes, telles que le Front de libération de la Palestine et le Jihad islamique palestinien », selon un rapport du département d’État américain. D’après la même source, Damas aurait abrité ces terroristes et leur aurait permis la libre circulation sur les territoires qu’il contrôle au Liban. Mais ce n’est qu’en 1979, au moment où le régime de Hafez el-Assad se positionne fermement pour la Révolution islamique iranienne, que Washington décide de placer la Syrie sur sa liste noire.

« Il n’y a pas d’amis éternels »

La mésentente entre Khartoum et Washington remonte bien avant le « génocide » au Darfour. Situé au carrefour de l’Afrique et du Moyen-Orient, le « pays des Noirs » sert depuis les années 1990 de terre de transit pour les armes en provenance d’Iran à destination de la bande de Gaza. « Le Soudan apparaît aux États-Unis comme un refuge aussi bien pour des groupuscules affiliés à Al-Qaïda qu’au Hamas palestinien, une base logistique où convergent des extrémistes issus d’Afghanistan, de Libye, du Mali ou de Syrie », ajoute Annick Cizel, spécialiste de politique étrangère américaine à la Sorbonne. En outre, il suffit de rappeler que le fameux chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, à l’époque déjà dans le collimateur américain, s’est installé au Soudan en 1992 pour y former des combattants au Jihad. « L’inscription du pays sur la liste en 1993 est ainsi directement liée à l’identification d’Al-Qaïda comme un risque sécuritaire majeur », relève Barthélémy Courmont.

Comme disait Lord Palmerston : « Il n’y a pas d’amis éternels, ni d’ennemis éternels. Que l’intérêt éternel. » La liste d’« États soutenant le terrorisme » évolue en effet selon les intérêts américains. L’exemple de la Corée du Nord est édifiant. Bête noire historique des États-Unis, Pyongyang fut ajouté en 1988 à cause de sa présumée implication dans la destruction d’un avion de ligne sud-coréen en 1987, avant d’être retiré de la liste en 2008, à la suite d’un accord (éphémère) conclu avec Washington sur son programme nucléaire. En décembre dernier, à la suite de l’affaire de piratage de Sony, le président Barack Obama a déclaré qu’un retour de Pyongyang à la liste serait tout à fait envisageable.

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