L’Iran à la sauce viennoise ?
Vendredi 10 juillet, l’Iran célèbre « la journée de Jérusalem », habituelle éructation collective anti-israélienne. Mobilisés par le régime, des millions d’Iraniens ont défilé dans les rues du pays pour conspuer « l’ennemi sioniste » et son protecteur, le « grand Satan » américain. On jure de chasser un jour les usurpateurs d’Al-Qods. On brûle du drapeau à la bannière étoilée. On hurle le vieux slogan de la révolution de 1979 : « Mort à l’Amérique ! » Les choses sont claires.
Les plus hauts dirigeants de la République islamique avaient prévenu. La destruction d’Israël doit être « la priorité des musulmans », ont dit les Gardiens de la révolution, le bras armé du régime. La veille, le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, antiaméricanisme chevillé au turban, avait rappelé cette évidence géostratégique : « Les Etats-Unis sont l’incarnation même de l’arrogance absolue. » Il s’ensuit logiquement, a-t-il ajouté, que « la nation iranienne doit rester prête à continuer à combattre l’arrogance des puissances mondiales ».
Percée diplomatique
Au même moment, derrière la délicieuse façade meringuée d’un cinq-étoiles viennois, le Palais Coburg, les arrogantes « puissances mondiales » mettaient la dernière main à un accord historique avec l’Iran. Le groupe des « 5 + 1 » – Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne – concluait des années de pourparlers sur le programme nucléaire de Téhéran. Signé mardi 14 juillet, le document de Vienne ne démantèle pas le dispositif nucléaire de la République islamique – fortement soupçonné d’être de nature militaire. Il le place sous étroit contrôle international. En contrepartie, les dures sanctions économiques frappant Téhéran, pour manquements au traité de non-prolifération, seront levées. Ce donnant-donnant représente une percée diplomatique historique.
Mais quel Iran faut-il croire ? Celui des drapeaux américains brûlés dans les rues de Téhéran ? Celui des salons du Palais Coburg ? Celui d’Ali Khamenei, le contempteur de l’Amérique, ou celui de Mohammad Javad Zarif, chef de la délégation iranienne à Vienne et partenaire privilégié du secrétaire d’Etat américain John Kerry ? Questions qui en amènent une autre : l’accord sur le nucléaire peut-il déboucher sur une normalisation des relations américano-iraniennes ?
Ali Khamenei voulait cet accord. Ebranlé par la force du courant réformateur iranien en 2009, par l’éruption des « printemps arabes », par la dégradation de la situation économique du pays, à la fois du fait des sanctions et de la baisse des prix du pétrole, le Guide a lâché du lest. Il a permis l’élection d’un président réformateur, Hassan Rohani. Contre ses alliés naturels à Téhéran, les « durs », il a soutenu Zarif à Vienne. Pour relégitimer le régime, il a besoin de rouvrir l’économie du pays, avec les dangers politiques que cela comporte.
Barack Obama voulait cet accord. Le président américain a pris le risque d’une négociation avec un pays que son prédécesseur rangeait dans « l’axe du Mal ». Un pays avec lequel les Etats-Unis n’ont plus de relations depuis 1980. Un pays qui s’est, bien souvent, opposé à l’Amérique, y compris dans la violence. Un pays que le département d’Etat classe parmi les parrains du terrorisme international. Mais un pays jeune, de 80 millions d’habitants, à la société civile brillante et dynamique, avec lequel les Etats-Unis doivent pouvoir parler comme ils le font avec tant d’autres de leurs adversaires stratégiques. Enfin, un pays qui joue un rôle clé au Moyen-Orient.
Obama défie un front du refus puissant, à l’intérieur et à l’extérieur. A Washington, l’ensemble du Parti républicain, majoritaire au Congrès, et une fraction des démocrates sont contre l’accord de Vienne – trop dangereux, disent-ils. A l’extérieur, les deux grands alliés des Etats-Unis au Moyen-Orient, Israël et l’Arabie saoudite, font cause commune contre l’Iran. Ils l’accusent d’être la principale force de déstabilisation régionale. Ils redoutent que l’Iran, délivré des sanctions, mette encore plus de moyens au service de ses alliés locaux : régime chiite de Bagdad, Bachar Al-Assad à Damas, Hezbollah libanais, milices houthiste au Yémen, Hamas palestinien.
Arrogance et paranoïa
Le front du refus n’est pas très crédible. Ses membres diabolisent l’Iran comme l’Irak de Saddam Hussein l’avait été. Ils lui prêtent, dans les mêmes termes, une capacité de mafaisance prométhéenne. L’Iran veut, certes, être reconnu comme l’une des puissances prépondérantes au Moyen Orient. Mais il reste un nain militaire. Son budget de défense est huit à dix fois inférieur à celui des pays du Golfe pris ensemble – eux ont un accès infini aux armes occidentales les plus modernes. L’Iran est entouré de trois puissances nucléaires illégales : l’Inde, Israël et le Pakistan. A peine née, farouchement antiaméricaine, la République islamique est marquée par l’agression extérieure : la guerre que Saddam Hussein lui déclare en 1980, appuyé par les Etats-Unis, l’URSS et l’Europe. Guerre fondatrice de l’attitude iranienne sur la scène internationale, mélange d’arrogance et de paranoïa. Enfin, si l’Iran réussit à fédérer un arc chiite dans la région, c’est du fait du chaos total qu’y a provoqué l’invasion américaine de l’Irak.
L’accord de Vienne annonce-t-il un Iran plus coopératif ? Dans les faits, rien ne l’indique. Dans les années 1970, les grands accords sur le désarmement nucléaire entre les Etats-Unis et l’URSS n’ont pas modéré le comportement de Moscou à l’extérieur, au contraire. La vraie détente est venue dans les années 1990. En revanche, la normalisation sino-américaine de 1972 engendre immédiatement une Chine qui sort de son statut de paria, abandonne ses menées subversives en Asie et se concentre sur son développement intérieur. C’est la jurisprudence à souhaiter pour l’après-Vienne.
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